EN SCÈNE OPÉRA

Simon Boccanegra, sombre, si sombre

L’Opéra-Bastille reprend Simon Boccanegra, opéra peu connu de Verdi, créé en 1857 à Venise, dans l’écrasante mise en scène de Calixto Bieito que les fantômes féminins habitent, jusqu’à l’insoutenable.

Certes, la musique de Verdi est sublime, et rarement donnée. Certes la force du drame écrit par le dramaturge espagnol Antonio Garcia Guttiérrez en 1843 est sublimé par les arias et les chœurs géants de Verdi. Certes, l’orchestre et les choeurs emmenés par Thomas Hengelbrock et Alessandro di Stefano font vibrer la salle. Certes le baryton Ludovic Tézier y donne toute la mesure de son talent, tout comme la très belle distribution (*).

Mais, il faut le reconnaître, la mise en scène de Calixto Bieito confine à l’insupportable. L’homme de théâtre espagnol sait choquer, bouleverser, il y excelle dans Carmen, dans the Exterminating Angel, également à l’affiche du théâtre parisien, et dans cette production déjà vieille de sept ans. Bien sûr, l’immense cargo à la poupe agressive qui tournoie sur lui-même comme un titan aveuglé est l’objet de tous les fantasmes et se prête à merveille aux jeux de lumière de Michael Bauer. Il est comme l’âme de Simon Boccanegra, le doge omnubilé par les présences féminines qui lui ont été ravies.

Photo : Vincent Pontet / OnP

Et c’est, certainement pour cela, que Verdi a choisi ce sujet. Il a été lui-même cet homme qui sombre, écrasé par la douleur, car lui-même, a subi la perte cruelle d’abord de ses deux enfants, Victoria et Icilio, puis de son épouse, Margherita entre 1838 et 1840 alors qu’il composait l’un de ses chefs-d’œuvre, Nabucco. Comme l’écrivait le poète Alfred de Musset dans La Nuit de Mai en 1835 :

« Les chants désespérés sont souvent les plus beaux

J’en connais d’immortels qui sont de purs sanglots »

18 ans plus tard, en 1856, il invité à Venise pour mettre en scène La Traviata, il reçoit une commande de la Fenice et choisit  le drame de l’écrivain et poète espagnol, Antonio Garcia Gutiérrez paru en 1843. A travers le destin de Simon Boccanegra, premier doge de la ville de Gênes au XIVe siècle, Verdi veut dénoncer les guerres fratricides qui déchirent aussi les familles. Simon Boccanegra, marin valeureux, accepte la charge de doge car il espère ainsi épouser Maria, la fille de son rival, le patricien Jacopo Fiesco. Quand le peuple l’élit, il apprend que sa bien-aimée qui avait mis au monde une fille née de leur union, est morte de désespoir et que son bébé lui a été ravi. Boccanegra, c’est le contraire du Hollandais Volant (Fliegende Hollander) de Richard Wagner. Comme le décor de Calixto Bieito, il est un navire qui tourne sur son erre. Et cette carène incarne aussi le crâne de Boccanegra/Verdi obsédé par la mort de celles qu’ils aiment. Le metteur en scène espagnol pousse cette obsession dans ses derniers retranchements. Très loin, peut-être trop ?

(*) Nicole Car, Mika Kares, Charles Castronovo, Etienne Dupuis, Alejandro Balina Vieites, Paolo Biondi, Marianne Chandelier.

Simon Boccanegra, Giuseppe Verdi, Opéra Bastille, du 12 mars au 3 avril 2024.

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