Dans la série the Queen’s Gambit (le Jeu de la Dame) de Scott Frank et Allan diffusée sur Netflix, il y a, bien sûr, ce drame incroyable en sept épisodes inspiré du roman de Walter Tevis et construit pour la première fois autour des jeux d’échec, l’irrésistible glamour d’Anya Taylor-Joy, alias Beth Harmon et de la belle armada d’acteurs qui l’entoure, les décors et et il y a, il y a aussi, et beaucoup, la musique, les musiques du film.
La track-list impeccable nous plonge au l’ambiance vintage de l’Amérique des années 60 de You’re the One de The Vogues à Venus de Shocking Blues, en passant par Fever de Quincy Jones, le Serpent qui danse de Léo Ferré et l’Adagio du Quatuor n°3 en Fa Majeur de Shostakovich.
Et, omniprésente, glissée, serrée, tissées sous les tubes des années 1960, il y a l’oeuvre puissante, lancinante du compositeur Carlo Rafael Rivera, une voix à part entière, une présence permanente qui remplit l’espace et lui donne un sens, même quand tout semble vide et déserté. Du début à la fin, le piano et le violoncelle accompagnent Beth et explorent le fond de son âme. La première Gnossienne d’Eric Satie est au coeur de cette thématique. Ce néologisme concocté par l’auteur des Gymnopédies en un fumeux mélange de mysticisme et d’humour nous fait basculer dans un univers totalement énigmatique. La première Gnossienne est une oeuvre totalement hors du temps, affranchie du cadre étroit des mesures, offerte à la liberté, à l’intuition de l’interprète, qui peut la plier à sa guise, à condition de ne pas se laisser totalement envoûter par ses mélopées sybillinnes inspirées par l’ordre secret des Rose-Croix. C’est la pièce que joue la mère adoptive de Beth Harmon, et c’est aussi la cellule sur laquelle est construit le thème de Beth et la bande son toute entière, avec d’abord une tierce mineure, puis un redoutable « triton », cet intervalle de trois tons connu pour incarner le « diabolus in musicam », le diable dans la musique.
La Musique dans les séries, comme dans la vie, c’est bien souvent, tout ce qu’on ne dit pas, qu’on ne peut pas exprimer, qu’on n’ose pas dire. Dans The Queen’s Gambit, du cerveau de Carlos Rafael Rivera, surgissent le tourbillon des pions, leur mise en ordre de bataille quasi miraculeuse au plafond de l’orphelinat, l’horloge qui égrène les coups et les heures pendant les tournois en tout pays et en tout lieux. Et enfin, à chaque instant, la petite âme fragile et vagabonde de Beth, qui oscille entre le do Majeur, la gamme des enfants, au la mineur, la tonalité du désespoir. Son thème, Beth Story, nous invite à une introspection au plus profond d’elle-même, et de bous-même, duo intime entre le piano et le violoncelle, l’instrument le plus proche de la voix humaine.
Les titres parlent d’eux-même : You’re gloating (tu jubiles), murmure l’un d’entre eux, puis Ceiling Games (les jeux au plafond), Two sides of the same coin (les deux faces de la même pièce)… La musique tisse le lien, comme l’obsession, l’inébranlable volonté de la petite fille qui veut jouer.