L’Opéra de Paris reprend Faust, le chef d’œuvre de Charles Gounod dans la mise en scène de Tobias Kratzer. Une production presque neuve, mais déjà vieille, emportée par une distribution d’une époustouflante jeunesse. . C’était la soirée des souvenirs de jeunesse et d’école. Comme à chaque générale, sous le grand plafond de verre de l’opéra-Bastille, se croisent tous ceux qui aiment et font l’Opéra : les jeunes et les vieux, les musiciens, les couturiers, les metteurs en scène, les assistants, les artistes, les politiques, les anciens étudiants en musicologie et les nouveaux. Et ce soir, c’était Faust. Le chef d’œuvre absolu de Charles Gounod qui, en 1859, l’année de sa création au Théâtre Lyrique à Paris, fut donné soixante-dix fois dans l’année. L’histoire : Johan Wolfgang von Goethe (1749-1832) s’est attelé une partie de sa vie à l’édification de ce monument de 4.615 vers, librement inspirée de la vie d’un alchimiste allemand du XVIe siècle. Après avoir consacré sa vie à la recherche et à l’étude, le vieux savant signe un pacte avec le diable : son âme contre le retour de la jeunesse. Entraîné par Méphisto dans une ronde infernale, il refuse les vils plaisirs de la taverne, mais s’éprend de la pureté innocente de Marguerite. Lucifer déploie tous ses sortilèges pour dévergonder la jeune fille. Séduite, puis abandonnée, elle met au monde un enfant qu’elle tue. Elle est ensuite emprisonnée, enchaînée, condamnée à mort. Pendant ce temps, Faust, qui s’est livré aux orgies de la Nuit de Walpurgis, cette fête païenne que l’on célébrait en Europe entre le 30 avril et le 1er mai pour fêter la fin de l’hiver, est pris de remord et tente de sauver la « fille perdue » du châtiment qui l’attend. Mais, malgré son amour, reconnaissant le démon, Marguerite appelle la Clémence divine et est sauvée alors que Faust, lui, est emporté par Lucifer. La jeunesse éternelle est sauve. La vieillesse libidineuse est damnée. Charles Gounod est fasciné par Faust depuis l’âge de vingt ans et travaille encore vingt ans sur son opéra. Sur le livret de Jules Barbier et Michel Carré, sa musique est pétrie, à la fois de la puissance triomphante du romantisme, de son attirance pour les noirceurs des tréfonds et de la foi profonde imprégnée de mysticisme du compositeur. L’œuvre est une forme de corne d’abondance de grandes pages orchestrales comme l’ouverture ou la Nuit de Walpurgis, de tubes et de grands chœurs exaltants : le Veau d’Or, Gloire Immortelle de Nos Aïeux. Autant dire que la tâche était grande pour Emmanuel Villaume qui, après un premier passage à l’Opéra de Paris en 1997, revenait entouré de ses « fauves », tel est le surnom des musiciens de l’orchestre puisqu’ils jouent dans la fosse. Enjeu important aussi pour le metteur en scène Tobias Kratzer, que la reprise de cette production, créée en 2019, et qui prend un sacré coup de vieux, après le tsunami de #metoo. Commençons donc par ce qui fâche : filmer Paris pour illustrer les chevauchées de Faust et Méphisto, certes, mais pourquoi un terrain de basket, une boite de nuit, des cinémas cracra ? Faust doit-il visiter la banlieue pour faire passer son message ? Et puis, surtout, pourquoi se complaire dans la description hyperréaliste de l’avilissement de Marguerite au risque d’épuiser la poésie de la musique et des vers ? Allez, une fois encore, sans fermer les yeux, essayons de nous concentrer sur la musique et sur la distribution magnétique de cette production. Côté chœurs, sous la direction d’Alessandro di Stefano, c’est un sans faute, notamment dans l’impeccable et guerrier « Gloire de nos Aïeux » et aussi pour tous les choeurs féminins en coulisse. Pour les solistes, le Méphisto d’Alex Esposito sombre dans la noirceur et perd la séduction qui faisait le charme de celui de Christian van Horn dans la précédente distribution. Marina Viotti, la Carmen de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, devient un Siebel, émouvant et sincère. Malgré son bomber et sa casquette, Florian Sempey campe un Valentin martial à souhait. Et il y a la révélation Pene Pati. Déjà bouleversant dans Beatrice de Tende de Bellini, le ténor venu des Samoa offre au rôle son timbre ample et ses aigus veloutés. Amina Edris, son épouse, est une divine Marguerite qui sait jouer de tout son registre, dans les graves pour la complainte du roi de Thulé jusqu’aux aigus cristallins de l’Air des Bijoux et, bien sûr, dans l’envolée finale du poignant « Anges purs, anges radieux » qui a inspiré Gaston Leroux dans son Fantôme de l’Opéra. Elle incarne avec toute sa beauté et sa force une Marguerite qui affronte les épreuves, sans jamais perdre l’amour. Grâce à eux tous, la grande musique de de Charles Gounod triomphe, tout comme le vrai message de Faust, cet opéra que tout le monde redoute sans le connaître, sur le Pardon et sur la Rédemption.
Amina Edris
Pene Pati
FAUST Compositeur : Charles Gounod Livret : Jules Barbier et Michel Carré Direction musicale : Emmanuel Villaume Mise en scène : Tobias Kratzer Décors et costumes : Rainer Sellmaier Lumières : Michael Bauer Vidéo : Manuel Braun Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano Distribution: Faust : Pene Pati Méphistophélès: Alex Esposito Valentin : Florian Sempey Wagner : Amin Ahangaran Marguerite : Amina Edris Siebel : Marina Viotti Dame Marthe : Sylvie Brunet-Grupposo Faust âgé : Marc Diabira
Jusqu’au 18 octobre 2024 à l’Opéra Bastille.
Photos Franck Ferville-Opéra de Paris