CONFIDENCES EN SCÈNE Musique SAGESSES

Les racines et les ailes des tambours KODÔ

Venus de l’île neigeuse de Sado, la troupe Kodô perpétue avec une vibrante énergie les légendaires traditions du Japon éternel. Hommage à la nature et à la communion des esprits, leur énergie salvatrice se transmet pendant leurs performances, et aussi à travers leurs enregistrements. Leur Festival de la Célébration de la terre qui se tient chaque année, au mois d’août, dans leur village, est l’un des événements culturels les plus importants du Japon.

Les Taïko sont arrivés les premiers, par bateau, remontant depuis la mer du Japon jusqu’aux côtes de France. A leurs côtés, dans le flanc sombre du navire, les Dora (gong), les Shinobué (flûtes), les Koto (cithare), compagnons essentiels de la troupe Kodô qui revient en France aux portes du printemps pour leur One Earth Tour Warabe. Pour cette grande tournée, ils sont passés aussi par l’Angleterre, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, la Croatie

J’étais encore enfant quand je les avais découverts en 1984, émerveillées, lors de leur premier passage en France, et je n’avais jamais oublié la magie de ce spectacle intitulé alors de manière très pédagogique : les tambours de feu et les danses de l’île de Sado. Depuis, les fondateurs de la compagnie ont développé les racines et les ailes de Kodô, mot qui signifie à la fois enfant du tambour et battement de cœur. Leur art est de plus en plus vivant, à la fois enraciné dans les traditions millénaires et nourris des nombreux voyages que la troupe a réalisée sur toute la planète et de ses échanges avec les artistes du monde entier

Le village de Kodô à Sadogashima

Pour les racines, ils ont posé leur village sur l’île de Sado (Sadogashima) dans la mer du Japon. Dans la presqu’île d’Ogi, au Sud-Ouest de l’île, près du petit port de Shukunegi, aux belles maisons de bois, ils ont pris pied dans une ancienne école abandonnée. Ils recherchaient la calme, la sérénité, à l’écart des grandes villes. Sado était le lieu propice, terre d’exil où les empereurs bannissaient jadis les pauvres et les lettrés opposants. Terre de pêcheurs et de chercheurs d’or, Sado est aussi la terre où le grand moine Nichiren (1222-1282), « Nichiren Daishōnin », fondateur de l’école du bouddhisme Mayana, dont nous reparlerons bientôt, vécu en exil et rédigea ses trois grandes Lois sacrées et révélées. Du temps de Nichiren, l’exil sur l’île de Sado était, après la peine de mort, la plus dure sanction de l’époque.

Le prêtre Nichiren en exil sur l’île de Sado par Utagawa Kuniyoshi vers 1830

C’est donc là que ce collectif de percussionnistes fondé en 1981 a choisi de vivre, loin de la mégapole de Tokyo. Dans une école abandonnée, les pionniers du groupe sont venus apprendre le théâtre Nô, les arts populaires et le maniement des Taïko, l’instrument le plus ancien du Japon et ont adopté un mode de vie porté par le respect de la tradition et de la nature environnante. La troupe compte cinquante de membres, dont 25 musiciens permanents qui vivent en communauté dans le respect de règles strictes. Ils suivent un entraînement rigoureux, aussi bien sportif que musical et spirituel. Dès l’aube, la matinée commence par dix kilomètres quotidien de courses entre les rizières et les bambouseraies, suivi d’un travail musical et sportif intense. Le domaine compte désormais une école d’apprentissage, une fondation culturelle avec une grande salle de répétition, une ferme, des ateliers d’artisans.

Le festival de la Célébration de la terre qui s’y tient chaque année, au mois d’août, est l’un des événements culturels les plus importants du Japon. Les membres de la compagnie respectent les principes du bouddhisme de Nichiren, la voie de la pratique pour soi et pour les autres qui a pour but de permettre à tous les êtres humains de se forger un bonheur profond, tout en aidant les autres à faire de même. Nichiren Daishōnin professait aussi que l’égalité entre les femmes et les hommes. Et c’est peut-être pour cela que le collectif Kodô comprend aussi une dizaine de musiciennes et, que pour la première fois, pendant l’été 2023, une femme a joué le O-Daïko, le roi des tambours, qui pèse environ 400 kilos, lors du festival d’été Célébration de la Terre (アース・セレブレーション).

Quelques instants avec Kenta Nakagome et Chie Yamawaki

J’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer Kenta Nakagome et Chie Yamawaki dans le calme d’une loge de la salle Pleyel quelques heures avant leur spectacle Warabe. Avec leur Taïko et leurs Kodo, ces artistes complets sont les meilleurs ambassadeurs de la culture japonaise. Tous deux ressemblent à des demi-dieux venus des forêts ancestrales et tous deux ont la douceur, la gentillesse, et l’humour des Enfants du Tambour (Kodô) qu’ils ont choisi de devenir avec exigence et humilité.

« Tous les matins quand on décharge le camion, des gens nous aident, on transporte ensemble et je sens à chaque fois à quel point nous sommes soutenus par tant de personnes. Cette force que je ressens, c’est ce qui me soutient et me donne de l’énergie sur scène», voilà ce que ressent  Kenta Nakagome lorsque se présente humblement devant le O-daïko. Son tête-à-tête avec le géant est le point d’orgue du spectacle de cette nouvelle tournée européenne. « Le O-daïko est taillé dans un grand arbre vieux de 300 ans. Quand je joue, je sens la force du bois, de la peau de la vache, je suis en connexion avec la nature, poursuit ce bel homme à la voix aussi grave que son instrument. La souplesse de son corps, la puissance de son esprit sont inoubliables. Né le 1er juin 1985 à Machida, Tokyo, Kenta Nakagome est entré au centre d’apprentissage Kodô en 2004 et est devenu un membre de la troupe en 2007. « Je pratiquais déjà le Taïko à Tokyo où je suis né, mais je n’aimais pas trop la vie dans cette capitale. Je suis allé sur l’île de Sado et j’ai eu envie de me consacrer à cette pratique. » Il enseigne aujourd’hui également à la prochaine génération et aux apprentis de l’école Kodô sur l’île de Sado et en ligne pour le Japon et le monde entier. L’Europe et la France, Kenta en avait entendu parler dans les livres, il y a longtemps, à la Bibliothèque avec les ouvrages de Jules Verne, et tout particulièrement « Vingt Mille Lieues sous les mers». Et quand je lui demande s’il se sent investi d’une mission de représentation et d’ambassadeur de la culture japonaise tant appréciée en France et en Europe, il me répond avec hésitation et modestie : «Je sens toujours la responsabilité,  je sens à quel point on doit être bien, présentable, devant le public.»

La même passion a transporté Chie Yamawaki vers le village Kodô. « Je jouais le taïko depuis toute petite et je venais de passer mon diplôme d’infirmière. Quand je suis arrivée sur l’île de Sado, j’ai été immédiatement conquise par la troupe et le mode de vie des habitants. L’île est grande, à peu près la taille de la ville de Tokyo. L’été, on peut nager. L’hiver, il neige beaucoup », raconte cette mince jeune femme qui chante, danse, joue du tambour et du Koto, la cithare traditionnelle japonaise avec la sombre légèreté des Kamis, les esprits sacrés shintoïstes. Entrée au centre d’apprentissage Kodô en 2015, en 2918, elle est devenue membre de Kodô qui compte désormais une dizaine de filles . Sur l’île de Sado, son don pour le chant s’est révélé. Elle emporte la troupe tant par les émotions de ses interprétations vocales que par son jeu plein d’humour et de virtuosité dans la danse du lion.

Warabe

l y a environ mille ans, les habitants de l’île de Sado avaient pour coutume d’invoquer les esprits quand ils voulaient appeler la pluie, faire cesser la tempête ou encore bâtir leurs maisons. Ils demandaient à des musiciens professionnels de venir avec leurs instruments de toute taille. A chaque tambour, son rythme, sa sonorité, sa mission pour invoquer ou chasser les Oni, démons de la mythologie japonaise.

Les gouttes de pluie dans la nuit, le souffle du vent dans la forêt profonde, les danses du cerf et du dragon, les jeux des enfants, les grondements des typhons, un tremblement de terre, un tsunami… Il y a tout cela dans les instruments que les artistes Kodô ont apporté avec eux de la lointaine île de Sado. Pour eux, les Taïko (tambours), sont aussi sacrés que les éléments dans lesquels ils sont fait : le bois de cèdre ou de Zelkova (Orme japonais), les peaux de cheval ou de vache. Depuis Ishikawa où ils sont fabriqués jusqu’aux scènes européennes, une longue et patiente chaîne s’est formée pour les convoyer.  Les musiciens Kodô ouvrent des espaces sonores inouïs et invitent leur public à les rejoindre dans leur transe sacrée ou joyeuse. Leur univers empreint de légendes s’allie avec les images des films d’Ayao Miyazaki , entre « Ponyo sur la falaise» et « Princesse Mononoke». Dans Warabe, le spectacle de la tournée 2024, les performances inspirées de danses traditionnelles régionales s’enchaînent avec fluidité. La première est la Shishi Odori (鹿踊り) ou danse du cerf, musique dansante d’impact au niveau sonore et visuel, de la région du Tohoku, au nord du Japon. Vient ensuite Miyake (三宅), un morceau tellurique dans lequel les batteurs maintiennent une position basse et accroupie pour battre un tambour horizontal de côté. Son nom vient de l’île éponyme à 180 kilomètres de Tōkyō, dans l’océan Pacifique. Suite Niwaka (仁輪加), inspirée de du spectacle folklorique et de la satire chère au peuple japonais. Joie et méditation se succèdent avec Onidaiko (鬼太鼓), pièce née dans de l’île de Sadō et Dokuso (独奏), pièce solo menée par seul grand taiko. La dernière pièce, Inochi (vie ou force vitale, 命) est une créatio, en six mouvement, mettant en rythme et en sons la pensée du collectif Kodô pendant la pendémie. La force de vie, comme le coeur, ne cessent jamais de battre et de résonner en nous comme la vibration originelle de la terre et le flux de la mer.

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