CAMBODGE LIVRES SAGESSES

(Se) Redécouvrir (à) Angkor avec le Naga d’Or

Le Naga d’Or est le premier jeu international solidaire lancé par l’association Enfants du Mékong en association avec le Musée Guimet, les Éditions Gallimard et les voyages Marco Vasco. Cette aventure fait revivre la mémoire d’Henri Mouhot, pionnier et explorateur qui découvrit les ruines d’Angkor, la merveilleuse capitale de l’empire Khmer. Une occasion de (re)découvrir cette civilisation essentielle avant la grande exposition que le Musée Guimet consacrera à l’art khmer à partir du printemps 2025.

C’était le mardi 10 septembre, au musée Guimet à Paris. A peu près tous les amoureux du Cambodge à Paris s’étaient donné rendez-vous dans la grande salle khmère sous les répliques troublantes du Bayon, le plus gigantesque temple-montagne de la cité d’Angkor, pour découvrir une nouvelle mystérieuse mission : le Naga d’Or. La légende est la suivante : En 1858, Henri Mouhot, jeune naturaliste français embarque à Londres sur le HMS Caledonia. Il veut remonter aux sources du Mékong. Quelques temps plus tard, lors d’une escale, un missionnaire, l’abbé Sylvestre, lui conseille un détour dans la région du grand lac du Tonlé Sap. En 1861, de pirogue en radeau, il parvient au but. La suite, il le raconte dans ses Carnets publiés dans le Tour du Monde en 1863 :

« Vers le 14ème degré de latitude et le 102ème de longitude à l’orient de Paris, se trouvent des ruines si imposantes, fruit d’un travail tellement prodigieux, qu’à leur aspect, on est saisi de la plus profonde admiration et que l’on se demande ce qu’est devenu le peuple puissant, civilisé et éclairé, auquel on pourrait attribuer ces œuvres gigantesques… L’un de ces temples figurerait avec honneur à coté de nos plus belles basiliques : il l’emporte pour le grandiose sur tout ce que l’art des Grecs et des Romains a jamais édifié …Un travail de géants !… Travaux prodigieux dont la vue seule peut donner une juste idée, et dans lesquels la patience, la force et le génie de l’homme semblent s’être surpassés afin de confondre l’imagination… Mais quel Michel-Ange de l’Orient a pu concevoir une pareille œuvre ? … »

Henri Mouhot meurt deux ans plus tard de fièvres malines à Luang Prabang (Laos), et aurait pu sombrer dans l’oubli si son frère n’avait pas publié ses Carnets et si l’équipe des Enfants du Mékong n’avait pas décidé de le ressusciter avec ce jeu baptisé le Naga d’Or. « Tout s’est enchaîné très vite depuis le printemps 2024, expliquent Guillaume d’Aboville et Guillaume Mariau. Nous avons reçu le soutien des éditions Gallimard pour le livre et de la société Unsolved Hunts pour la conception de la chasse au trésor. Le joaillier Lorenz Baümer et la sculptrice Anne-Laure de Chillaz ont réalisé un bijou unique. Cinq mois plus tard, tout le monde se retrouvait donc au musée Guimet pour présenter ce défi fabuleux et le livre conçu avec le soutien de toutes les équipes d’Enfants du Mékong. « Pour participer, il faut déjà se procurer le livret d’aventure avec la carte et le carnet secret d’Henri Mouhot, les huit énigmes, les aquarelles de l’artiste Khmer Samuth Mech et les podcasts à écouter », expliquaient les fondateurs du jeu. Celui qui saura résoudre les énigmes, localisera le coffre et s’envolera pour le Cambodge pour remporter le trésor. »

Il y a le challenge, il y a l’enjeu, il y a la compétition, qui promet d’être longue – entre 18 et 24 mois estiment ses créateurs, à moins de s’orienter sur deux versions plus brève et simplifiée du jeu, le Naga Express et le Naga Junior qui seront dévoilées début 2025 – et par-dessus tout il y a la solidarité en faveur d’Enfants du Mékong, cette association de parrainage française, qui œuvre depuis 1958 pour scolariser les enfants les plus pauvres en Asie du Sud-Est (Vietnam, Cambodge, Philippines, Thaïlande, Laos, Birmanie).

« Avant d’aider, il faut apprendre à connaître, à aimer. « 

Car le sens véritable de cette quête, c’est le projet de l’ONG : utiliser l’argent recueilli pour soutenir le centre de Sisophon dans le Banteay Meanchey et la Happy Life School, première école au Cambodge imaginée pour les enfants porteurs de handicap mental. René Péchart, son fondateur, avait pour devise : « avant d’aider, il faut apprendre à connaître, à aimer. » Raison de plus d’aller à la rencontre de la civilisation angkorienne et aussi du peuple khmer.

Pierre Baptiste, le conservateur général en charge de l’Asie du Sud-Est au Musée Guimet l’a bien rappelé. « La cité d’Angkor qui avait vu le jour au cours du IXe siècle après J.C et qui abrita jusqu’à 750.000 habitants fut abandonnée en 1430. Elle avait été ensevelie sous la jungle jusqu’à sa redécouverte par les missionnaires, puis les explorateurs français. C’est l’histoire d’un sauvetage minutieux et passionné, repris ensuite par le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée (1823-1868) et par Louis Delaporte (1842-1925) qui dévoua sa vie à la connaissance d’Angkor et fonda le musée indochinois du Trocadéro. Il a ainsi relevé les plans de la Cité, premières bases de l’Ecole Française d’Extrême-Orient (EFEO) et effectué, pour les préserver des ravages de la nature, des « prélèvements d’échantillons », qui seront le noyau de la collection khmère de l’actuel musée Guimet. »

Ma rencontre avec Angkor a justement pris racine ici-même, à Paris. Depuis toujours, je visitais ce vieux musée et mes pas me ramenaient vers une statue quand l’Indochine me manquait. Ce visage d’une bienveillance, d’une sérénité parfaite me fascinait. C’était un homme, un sourire. On ne voyait que sa tête, le reste de la statue avait été soustrait. Sans doute était-il assis en posture de méditation. Je ne connaissais pas encore son nom. Je n’imaginais pas son destin, mais je recherchais sa présence apaisante. J’aimais le contempler. Il est si beau. Un jour, j’ai appris son nom : Jayavarman VII, c’était difficile à mémoriser, qu’il avait vécu très longtemps (entre 1122 et 1218), qu’il était le plus illustre souverain de l’empire Khmer, le fondateur de la mystérieuse cité d’Angkor. C’est lui qui m’a donné envie de faire ce « détour » par le Cambodge pour la découvrir.

Pourtant, le Cambodge, pour moi, depuis l’enfance, comme pour tous ceux de ma génération, c’était l’effroi et l’incompréhension absolus. La prise de la capitale Pnomh Penh par les Khmers Rouges, le génocide abominable d’un peuple, les rares images rapportées, révélées par des cinéastes comme Rithy Panh. Mais le désir de découvrir Angkor, la ville de Jayavarman VII était si fort. Comment un homme au visage aussi doux avait-il pu régner sur ces contrées lointaines ? Nous sommes partis, il y a quelques années déjà. C’était un voyage en famille, le premier que nous fîmes ensemble vers nos racines. Et le rendez-vous fut à la hauteur de l’espérance.

Il faudrait des ouvrages et des ouvrages pour dire la beauté, la grandeur, la profondeur d’Angkor. On n’imagine pas quand on se promène, sans les connaître, au milieu de ces ruines qui ont trop marqué notre enfance dans les jeux vidéo ou les dessins animés de Walt Disney, que ce ne sont pas des singes, des éléphants ou des aigles, des danseuses légères qui nous entourent, mais les incarnations de Hanuman, de Ganesha, de Garuda, ou d’Avalokiteshvara et, pour les Cambodgiens, l’âme même de leurs ancêtres. Angkor, c’est la cité toute entière, ou presque, dédiée à Avalokitesvara, le plus grand des Boddhisatva, appelé « le Seigneur qui nous observe », mais aussi le parallèle féminin pour les Vietnamiens, de la Vierge Marie, par sa très grande compassion. Angkor, en langue khmère, c’est la ville pagode, la ville temple, la ville sacrée. Sa superficie, 400 kilomètres carrés, c’est presque deux fois Marseille, trois fois  Jérusalem, quatre fois Paris. Une ville « surpeuplée en dieux », car rien qu’au Ta Promh fondé en 1186, l’E.F.E.O en a relevé près de 400 et encore 500 au Prah Kanh dont les travaux débutèrent en 1191. Jayavarman VII, c’est à la fois Saint Louis, François 1er et Louis XIV, un homme d’Etat et un homme spirituel qui eut la chance de régner pendant de longues années, entre environ 1181 et jusqu’au milieu du XIIIe siècle.

Je n’idéalise pas non plus cette civilisation car, bien sûr, pour bâtir en un règne certes très long – comme les arbres et les hommes, les souverains ont besoin de temps pour grandir – il fallut bien sûr des efforts, des sacrifices, et un immense projet. Christine Hawixbrock, archéologue à l’Ecole Française d’Extrême Orient, a publié un article très riche dans le bulletin de l’EFEO de 1998 sur Jayavarman VII et le renouveau d’Angkor. Elle y explique : « La politique de grands travaux menée par Jayavarman VII lui permettait d’assoir son pouvoir sur l’ensemble des provinces khmères,. Les propriétaires terriens, seigneurs de domaines qui s’étaient réunis sous l’autorité du parasol de Jayavarman VII, donnaient aux templs des centaines de villages chargés de fournir les tonnes de riz annuelles et autres fournitures destinées à l’entretien symbolique des dieux et surtout du « clergé ». Vraisemblablement une grande partir de la population khmère et sans doute aussi des prisonniers faits lors des guerres de conquêtes ont dû travailler à la construction de ces complexes monumentaux qui ont dû, presque certainemetn, partout sous une forme primitive, être lancés à peu près en même temps. Ces grands travaux, en dynamisant les forces vives du pays, stimulent l’activité économique et commerciale ; ils débouchent surtout sur une forme rénovée de l’organisation de l’espace politique et administratif du royaume sous la forme d’un maillage composé de centres religieux gérant de façon plus rationnelle les potentialités des différents terroirs intégrés dans un réseau de communications considérablement améliorées, notamment par l’édification de nouveaux gîtes d’étapes, de ponts… Le souverain est « physiquement » présent partout dans son royaume par l’intermédiaire de l’image humaine, reproduite en de multiples exemplaires… La volonté de Jayavarman VII de créer un empire uni et fort, dominé par un pouvoir centralisé, ne pouvait fonctionner que si le pays était prospère. »

Allez, soyons partiale, Angkor mérite au moins autant et peut-être plus encore d’inspirer la planète que Versailles, car c’est une ville toute entière dédiée à la spiritualité, une spiritualité sacrée et bienveillante. Car n’oublions pas, pendant que Jayarman VII édifiait sa Ville, centre symbolique du monde avec ses grands temples dédiés à ses ancêtres – le Ta Prohm (Grand-Père, Brahma en khmer), le Preah Kahn (l’Epée sacrée), le Bayon…- partout il tissait un réseau dense d’édifices publics – aménagement hydrauliques, routes, gites, ermitages, monastères hôpitaux,) utiles à son peuple.

L’un des monastères ou gites conçus par Jayavarman VII pour son peuple

Devant tant de beautés, on se demande toujours si le mieux à faire ne serait pas de se taire et de recouvrir du plus respectueux des silences les merveilles d’Angkor. Rares, précieux et fragiles sont les lieux sur cette terre où la nature et la culture se mêlent avec cette intimité à la fois sauvage et respectueuse. Pourtant, les civilisations ont besoin de découvrir tout le raffinement, toute la profondeur de la culture khmère pour comprendre un peu mieux pourquoi elles sont mortelles et comment, peut-être, elles peuvent tenter de s’améliorer. Tout ce que j’écris est uniquement inspiré par mon immense amour pour ce peuple, pour cette histoire qui est la mienne, qui est la nôtre. Voilà tout le principal trésor à gagner, à conquérir, tenter : espérer de nous connaître un peu mieux nous-mêmes.

De Angkor, aujourd’hui encore, après toute une vie à méditer dans la présence de Jayavarman VII, j’ai le sentiment d’avoir encore tant à apprendre. C’est une chance : le musée Guimet nous promet dans les prochains mois de nouvelles découvertes avec une grande exposition consacrée à l’art khmer qui s’étendra du 30 avril au 8 septembre 2025. Ce sera l’occasion unique de découvrir la restauration du Vishnu couché, la plus grande statue en bronze – à l’origine sans doute, plus de 5 mètres de long sur 4,5 mètres de hauteur – jamais découverte là-bas dans le temple du grand Mébon Occidental.

Et de comprendre aussi un peu mieux la passion des chercheurs, des archéologues, des conservateurs qui, dans les pas d’Henry Mouhot, dégageant peu à peu une à une les pierres des temples sacrés de leur emprise végétale, ont dévoué leur vie au sauvetage et à la préservation du merveilleux message de la divine cité d’Angkor.

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