Reclus volontaires, pendant huit mois, dans l’écrin nacré de la Villa Dufraine à Chars (Val d’Oise), les neufs artistes lauréats de l’Académie des Beaux Arts, réunis par l’Académicien Jean-Michel Othoniel au sein du collectif NEST, présentent les fruits de leur réflexion dans le cadre d’une exposition baptisée, « en attendant (les Mots) » à la Monnaie de Paris, face au Louvre et au pont des Arts.
C’est une exposition qui a le goût des premières fois comme un soleil de printemps. Il y a des brouillons, des maladresses, des promesses et tant d’enthousiasme. Il y a aussi, comme lorsqu’on quitte l’adolescence, une insouciance qui s’envole, le rêve de retenir, encore, un peu, ceux que l’on aime, de fixer leurs sourires, un geste pour relever une mèche, un grain de voix, le grincement de la porte qu’on ouvre, l’odeur du feu de bois et tant d’autres choses encore. « Arrêter le temps sans hâte pour sauvegarder et garder des souvenirs, tenter d’en préparer même si la conservation n’est pas toujours possible », notent Clémence de Raucourt, Park Chae Biole et Park Chae Dalle co-curatrices de l’exposition. Toutes les trois, elles ont partagé avec leurs congénères cette démarche qui consiste à ralentir, à prendre la mesure de l’attente et de la fragilité.
Etrange voyage que cette odyssée qui commence comme un rendez-vous au cœur de Paris, à deux pas de la vie agitée estudiantine du quartier latin, entre les murs épais de la Monnaie de Paris, le coffre-fort de la France. Avec des bouts de ficelle, beaucoup de temps et d’idées, les neuf artistes du collectif Nest ( formé par les trois co-curatrices, Reda Boussella, Wonwoo Kim, Camille Simon Baudry, Louis Ziéglé, Octave Magescas et Ludovic Lalliat) nous transportent dans un autre monde, un assemblage de créations improbables, entre les univers du peintre Salvador Dali et de l’écrivain-poète Claude Ponti.
Il y a un chemin qui commence dès que l’on passe la porte, un mince fil orange qui circule entre les œuvres des artistes, comme une ronde qu’ils formeraient tous ensemble. Park Chae Biole a moulé ces petits ronds de bosse qui nous prennent par le pied. Avec la même conscience, elle a aussi créé une rampe faite de tuiles en céramique, toutes différentes par leur couleur, par la pochette en tissu peinte représentant les paysages de Chars et par les gravures qui portent les mots « tap tap tap », bruit des claquettes de sa mère sur le sol de leur maison familiale en Corée.
Dans le coin à droite, il y a la silhouette d’un chien. On ne la remarque pas d’abord, pourtant, très vite, Park Chae Dalle parle d’elle. En fait, c’est une vieille chienne de douze ans. Elle s’appelle Bébé. Dalle aurait aimé qu’elle vienne avec elle à la villa Dufraine, mais les contraintes administratives ne permettaient la présence d’un non humain. Malgré son grand âge, Bébé a donc attendu patiemment le retour de sa maîtresse, chez une amie qui prenait soin d’elle, mais cette absence a été pour Dalle le terreau de son inspiration et de son travail. « Ma devise, dit-elle, c’est Malgré tout, en coréen 그럼에도 불구하고, Guleum edo bulguhago. J’ai fait un collectif avec ma chienne ». Avec ce passager clandestin, ils étaient donc dix à bord.
« J’ai fait un collectif avec ma chienne »
Pour tous ceux qui aiment un animal, transformer à ce point le quotidien canin en œuvre d’art est bouleversant. Pendant les 250 nuits blanches de son séjour à Char, Pénélope inlassable et obstinée, Dalle tissé avec des fils beiges, ocres et blancs la toile de son amour. Elle les a entre-mêlés avec le fruit des promenades partagées avec Bébé, des bâtonnets de bois, des papiers mâchés. Une vidéo les présente toutes deux dans les moments de complicité du brossage. Un assemblage de bocaux emplis de boules blanches lui succède. Avec une infinie patience, en s’usant les doigts et les yeux, Dalle les a cernés des poils de son toutou. Plus tard, quand Bébé aura rejoint l’autre rive, ils seront autant de petits galets qui permettront aux deux amies de se rejoindre par-delà les apparences.
Coréen lui aussi, Wonwoo Kim plonge le visiteur dans le métro de Séoul, figuré par un couloir entièrement tapissé de feuilles A4 striées de rayures jaunes. Il rend ainsi hommage au combat pacifiste que l’association SADD Solidarity Against Disabled Discrimination mène pour les droits des handicapés en Corée. Leurs manifestations qui retardent le trafic aux heures de pointe se poursuivent depuis plus de 700 jours, bientôt deux ans. Un texte manuscrit encadré explique en coréen : « Pour moi, prendre le métro, c’est la guerre ». Cette action étonnante au pays de la K.Pop prend son sens lorsqu’on se souvient qu’hormis sa capitale, Séoul, la Corée est toujours couverte à 70% de montagnes et de forêts.
Wonwoo Kim rejoint l’amour pour Bébé et le travail de Dalle et Biole dans un troisième espace où un mur de 5 mètres est recouvert par un long et fascinant bric-à-brac constitué de boites vides animés et de poèmes inscrits sur des mobiles inspirés par le mouvement des horloge. Il dit : « Ça me soulage de voir ces petits objets quotidiens. J’ai commencé à écrire des poèmes pour endurer le temps. La poésie simplifie les choses. ».
Il faudrait aussi évoquer les compositions sonores de Camille Simon Baudry et Octave Magescas, , les gravures de Louis Zieglé, les BD de Ludovic Lalliat, les sculptures Cartoons de Reda Boussella, rappeler que la démarche de tous a été d’utiliser des matériaux de récupération ou naturels, délaissant ainsi les métaux, les ors, les bronzes éternels au profit du fugitif, de l’éphémère, du diaphane. Mais le mieux est d’aller les regarder, les écouter, et méditer avec eux sur l’insoutenable légèreté du temps qui passe…
Jusqu’au 1er décembre à la Monnaie de Paris.
La galerie Anne-Laure Buffard présente les travaux de Park Chae Biolle et Park Chae Dalle, 6 rue Chapon, Paris 3e
Pour rencontrer les artistes, deux événements auront lieu en lien avec cette exposition :
Mercredi 20 novembre, à partir de 18h : soirée de lancement du catalogue de l’exposition suivie d’un concert à 19h d’Octave Magescas
Mercredi 27 novembre, à 19h : performances de Dalle Chae Park « Pearls » et de Constance de Raucourt : « En partant pêcher » suivies à 20h d’un concert d’Octave Magescas