

Aréquipa est la cité du bruit joyeux, des porte-voix, des moteurs pétaradants, des chiens expressifs et turbulents, des musiciens qui se posent sur un coin de trottoir pour jouer de la guitare ou appeler la protection du Seigneur, des vendeurs de fresas (fraises), de mangues (mangos), de paltas (avocats) ou encore de queso helado, cette fameuse glace au lait concentré sucré qu’on trouve à chaque coin de rue. Pourtant il est au coeur de la ville une citadelle d’où s’élève avec une majestueuse présence, un silence qui retient inévitablement l’attention. Derrière les hauts murs de pierre qui forment un quadrilatère de 20.000 mètres carrés, à quelques pas seulement de la plaza de Armas, se dresse le plus grand couvent de la Chrétienté et du monde. Le « Monastère privé des moniales de l’ordre Sainte-Catherine de Sienne » fut fondé en 1579, par Doña Marie de Guzmán, veuve de Diego Hernández de Mendoza. Cette belle, riche et jeune femme sans enfants a ainsi décidé de la destinée de milliers de filles de la région. Doña de Guzman a aussi légué à Aréquipa un trésor qui par son ampleur confine au plus sacré, à l’égal des très vénérés volcans Misti ou Chachani.



Voici un lieu dont on n’approche pas impunément, même en tant que simple visiteur et dont on ne ressort jamais indemne. C’est un choix de vie, une ascèse au sens fort. On ne sait pas très bien si c’est le silence, la beauté de ces murs cyclopéens tour à tour, blancs, bleus ou rouges, l’humilité de ces enfilades de cellules, le charme coquet des plantes qui les fleurissent ou, par-dessus tout sans doute, la montagne de mystère qui vous envahit en déambulant dans ce vaste labyrinthe parfaitement organisé. Quel architecte a pu concevoir cette organisation, ces formes géométriques parfaites, ces enfilades d’une symétrie troublante ? Quel Dédale, quel Minotaure oublié ? Qui pouvait bien vivre ici, s’y enfermer toute sa vie durant ?




Pourtant il est bien écrit que c’est une femme, Doña María de Guzmán (1543-1601) , trop tôt veuve et sans enfant, qui abandonné tous ses biens et décida, la première de s’enfermer dans le monastère en construction. C’était des années, telles que Paul Claudel les narre dans son Soulier de Satin. Le 5e vice-roi du Pérou, Francisco Toledo (1515-1582), avait souhaité en 1576 la fondation d’un ordre de moniales dans la jeune ville coloniale d’Arequipa rebaptisée le 15 août 1540, sous le nom de « Villa Hermosa de Nuestra Señora de la Asunta ». Le 10 septembre 1579, les documents d’acquisition de quatre parcelles de terrains avaient été signés et le 2 octobre 1580, après la grand-messe célébrée dans la ville, la veuve de 36 ans avait été nommé « première colonisatrice et prieure ». L’histoire raconte que les filles qui entrèrent à sa suite étaient des créoles, des métisses et des filles de kurakas, ces fonctionnaires de l’empire inca rattachés à l’administration coloniale. Les épreuves attendaient les élues, car un puissant tremblement de terre fit tomber les premières structures et les religieuses durent réparer, elles-mêmes leurs cellules. Des lettres montrent l’assiduité avec laquelle les pères de bonne famille sollicitaient par la suite l’entrée de leurs filles. Le parcours commence la partie du couvent où les novices résidaient pendant trois ans avant de pouvoir passer vers le cloître des orangers, bleu comme le ciel ou comme les poèmes d’Eluard, où elles épouseraient leur vocation. Sur leur parcours, des fresques détaillent les différentes étapes de l’amour divin.







Les murs épais ont été entièrement construit selon des techniques qui rappellent les temples incas en roche volcanique, la blanche vient, dit-on, du volcan Chachani, la rouge a été extraite du volcan Misti. Au fil de la déambulation, on comprend vite que les quotidien des soeurs était très bien rempli. Il y avait, bien sûr, le service divin, prière, méditation messes, et aussi tous les innombrables travaux destinés, non seulement à faire vivre le couvent, mais aussi à approvisionner les édifices religieux de la région. La finesse, le soin, les travaux de couture et d’aiguilles étaient réservés aux yeux et aux doigts les plus fins. L’attention, l’application, les délicatesse de ces oeuvres témoignent en silence de la dévotion des milliers de jeunes femmes qui se sont succédées dans le silence de leur cellules. La fortune du Couvent fut, un temps redoutable, mais de très belles vaisselles disent aussi ce quotidien emprunt de noblesse





Et puis, d’autres espaces éveillent la curiosité et les questions. Le silence a-t-il toujours régné entre ses murs. Combien de femmes, hormis les moniales, résidaient, vivaient, séjournaient ici. On s’interroge vraiment lorsque l’on découvre la quantité de fours, de cuisines, vastes et équipés de jarres, piles, mortiers spectaculaires et poétiques. Quels plats préparaient-elles ? Il y aurait de quoi nourrir presque la ville d’Aréquipa, et sans doute, servaient-elles aussi des collations aux pauvres, aux nécessités, aux honteux, aux soldats ? Chantaient-elles, criaient-elles, plaisantaient-elles tandis qu’elles s’affairaient aux fournaux ? Ou demeuraient-elles dans le silence ?




La préparation confine à l’infini, on pourrait presque dire à la cuisine des anges, lorsque l’on circule dans le grand laboratoire où étaient conçues les hosties sacrées, destinées au service dans les églises de la région. Un lieu presque métaphysique où tombe une lumière divine dans le goutte-à-goutte immuable d’un sablier en terre crue.




Il est beaucoup d’autres places et lieux qui éveillent les questions en foule au sein du Couvent Santa Catalina. Les énumérer serait trop long, mais par exemple, dans ce pays où il pleut si rarement et où la chaleur arrive si vite, les soeurs étaient-elles autorisées à se baigner souvent dans la piscine aménagée près de la fontaine ? Ou uniquement pour des ablutions rituelles ? Jouaient-elles ou devisaient-elles parfois près du lavoir où de grandes jarres brisées servent de battoir ?



Et aussi, cette question qui. ne m’a pas quitté, mais à quoi servaient dont ces dizaines d’escaliers, tous plus magiques et uniques , qui égrenent tous les comptes possibles de marches. Exerçaient-ils uniquement une fonction pratique ? Ou constituaient-ils une forme de prie-dieu tout particulière, un escalier vers le paradis, stairway to heaven…



Il faudrait parler encore de milles choses, la Pinacothèques avec ses tableaux, les soeurs devenues Saintes et vénérées pour leurs vies de prière, comme la soeur Ana de Los Angeles, ses miracles, ses prédictions ou la jeune soeur Juana de san José Arias Costanas dont la voix était, dit-on, plus pure que celle des anges.
Depuis 1970, une partie du monastère de Santa Catalina est ouvert au public. Le reste du complexe est toujours réservé aux religieuses. Plus de 400 ans après sa fondation, 21 soeurs, la plus âgée, centenaire, la plus jeune, tout juste 18 ans, vivent encore derrière la clausure. « Nous sommes toujours présentes, écrivent-elles, parce que la source de notre présente est l’Amour. C’est le secret pour subsister ici : être Amour, sans idéal ou projet, mais avec JÉSUS. »Après une rénovation particulièrement réussie par le gouvernement, le couvent est devenu le passage obligé de toute la ville joyeuse, de tous les étudiants, des touristes venus du monde entier. Les fiancés et les mariés s’y échangent leurs voeux en priant pour que leur amour puise entre ces murs pluri-centenaires la tendresse divine et la force de l’éternité.


Pratique :
Le Couvent Santa Catalina, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, est ouvert tous les jours de 9heures à 17 heures. Des nocturnes sont possibles le mardi et le jeudi avec un éclairage aux lanternes.
Entre les murs, une librairie propose les « souvenirs » et certaines productions des soeurs. Une délicieuse cafeteria sert des « pizzas » et des gâteaux fait maison.


