Les 6 et 7 septembre 2025, à Biarritz, Claude Brumachon & Benjamin Lamarche ont confié deux trésors au festival Le Temps d’aimer la Danse et à leur ami Thierry Malandain : Hors Normes, une pièce dont ils disent qu’elle sera leur dernière. Et une Passion dévoilée, conférence dansée, un incroyable voyage au cœur de ces 45 ans et 150 œuvres de danse rebelle et passionnée. En une heure et demie, bien trop courte, ce grand déballage, joyeux, brouillon et sincère nous replonge au cœur de ces années 1980, en avant, en arrière, sur le côté, hors normes toujours. Unique, salutaire et inoubliable.

Brumachon & Lamarche, d’abord, c’est l’amour, Quelque chose d’unique qui les lie, comme le fil invisible d’une araignée céleste. Il fallait que ces deux hommes se rencontrent. Ils l’assurent, Hors Norme, est la dernière création de leur compagnie. On a envie de leur crier : « Non », car c’est sûr, ils ont toujours leur mot à dire. Alors on vient les voir, les écouter, s’enthousiasmer, s’émerveiller avec eux avec ce duo iconique et directeurs du Centre Chorégraphique National (CCN) de Nantes de 1992 à 2015. Au Casino Municipal face à l’Océan et à la Grand Plage de Biarritz,« Hors Normes » surfe sur des musiques glanées par les interprètes, comme autant de « cadavres exquis » et nous invite à nous à lâcher prise, à nous laisser émouvoir par cette transe rebelle et résistante. En comptine, sur du rock, du blues, de la techno, chacun à leur manière disent : « Danse tout ce que tu peux ! Bouge dans le bonheur inexprimable de vivre ! » C’est un sandwich club d’émotions qui résume quarante ans de création.

La veille, sur la petite scène du Colisée, l’ancien cinéma des années 1950 reconverti en théâtre, ils faisaient leur cinéma, comme ils disent, « en costumes d’époque », juste tous les deux sur scène pour une Passion dévoilée. Là, c’était le grand bazar, des vêtements partout, des malles ouvertes, poussées sur les côtés, deux chaises sur lesquelles ils se posent pour converser. Un grand déballage, un peu comme dans les chambres d’étudiants. Et tout à l’avenant. Cela s’appelle une « conférence dansée », cela veut dire qu’ils vont danser leur vie et aussi montrer comment leurs compagnie, coqueluche de la danse contemporaine des années 1980 » qui a couru le monde de New-York au Chili en passant par Niamey et Tachkent s’est sont inscrite dans cette folle libération des années 1980. Ce que la bouche n’ose dire, le corps le crie. Il y a tant de non-dits pendant ces années paillettes, ces trente Glorieuses qui ont bien écrasé sous leur couvercle triomphant les traumatismes des guerres des deux premiers tiers du siècle. Commençons donc par ce qui se dit : la Rencontre.
» On est dans l’énergie, le militantisme »
1981 donc, centre Américain de Paris, les avant-gardes américaines arrivent boulevard Raspail, Merce Cunningham et John Cage, Arnie Zane et Bill T. Jones Steve Paxton, Trisha Brown, Lucinda Childs, Stuart Sherman. Claude Brumachon lui aussi s’en vient de sa Normandie natale où il a étudié aux Beaux-Arts. Il cherche la Montagne, il ne voulait pas être danseur au début, plutôt dessinateur. Mais voilà « On répète, on danse partout, dans les parcs, dans les rues, dans les kiosques, on cherche l’envol » et Claude voit passer un jeune homme blond, un danseur à gueule d’archange, qui porte une plume rose à l’oreille. Il tombe amoureux. Ce sera la danse. « Comment attraper globalement, toucher ». Démonstration en musique et en gestes sur le tube de Visage en 1980 : « Fade to grey ». Puis viendra « la ligne » et les premières traductions sur scène de la fascination de Benjamin pour les oiseaux. Il est d’ailleurs ornithologue amateur. Car, oui, Benjamin est parfaitement aquilin. En 1984, il y aura donc ce spectacle, « Atterrissage de corneilles ».
Claude & Benjamin arpentent la scène du Colisée, enfilent les uns après les autres, les collants, vestes, tuniques qui jonchent le plateau. « Les années 1980, disent-il, c’est un défilé de costumes très colorés. On est dans l’énergie, le militantisme. Tous nos premiers spectacles ont un oiseau dans le titre. Et puis quelqu’un m’a dit il faut que tu fasses la synthèse entre l’affectif et la ligne, cette personne est dans la salle. »

Avec leur première compagnie, les Rixes, ils créent Texane. Un choc, primé au Concours de Bagnolet, puis le piédestal des Vierges. On reconnaît leur style au premier coup d’œil. Les corps se heurtent, se choquent, esquivent ou se précipitent sur les murs, les tables, les chaises… On aime, ou on déteste. On ne comprend pas tout. Lors de la création le 18 mars 1988 au Pollen à Elancourt, Brumachon expliquait qu’« il voulait donner la vision que lui, enfant, portait sur le monde des adultes qui l’entouraient. » Ce soir, dans la pénombre du Colisée, face au public ami de Biarritz, Claude explique, juste quelques mots, intensément clairs, comme son regard. « Introspection sur mon enfance profonde. Je vivais dans un taudis, nous étions 15 personnes dans 4m2. Il y avait un oncle qui avait une crudité dangereuse. Cet homme nous a torturés. Tout ce que vous pouvez imaginer s’est passé. » Tout est dit de ce « cette marelle dangereuse », de « cette blessure du désir que devrait faire sentir la danse à chaque fois ».

Il y aura d’autres succès, tous énormes. 1989 : Folie, une commande pour le bicentenaire de la Révolution Française, inspirée par la marche des femmes sur Versailles pendant les journées des 5 et 6 octobre 1989. Crée le17 novembre 1989 à l’ARC-le Creusot sur une musique de Christophe Zurflüh, ce manifeste de montre à la fois l’ardeur de ces corps emportés dans l’excès et le sauvage, mais encore la vitalité et la fureur de l’exode. Avec ses quinze danseurs, elle n’a cessé de tourner partout dans le monde, jusqu’au Chili où Brumachon & Lamarche l’ont transmise à la compagnie Espiral.
Un peu plus tard, vient Icare, il était déjà là en germe celui-ci dans la passion ornithologique de Benjamin. Claude écrit pour ce danseur d’exception ce solo de 45 minutes comme la réunion de tous leurs rêves, trouver la ligne, le geste, le mouvement, s’élever, avec le risque, toujours présent, de retomber. La nécessité d’affronter la peur, le vide, soi-même, la sagesse, la recherche absolue de la liberté. Créé le 11 juillet 1996 à la chapelle des Pénitents Blancs d’Avignon, ce solo de référence est transmis par Benjamin Lamarche à d’autres danseurs, Vincent Blanc, Christian Hewitt au Chili.

On ne dirait pas à les voir ainsi sur scène comme deux grands enfants aux cœurs purs, jouant à réessayer les costumes de jadis, trop grands, trop serrés ou bien ajusté, à se serrer dans les bras l’un de l’autre, à se tenir la main, à se porter l’un l’autre, mais ce sont des légendes de la danse, Brumachon & Lamarche, des ambassadeurs qui ont semé partout sur la planète leur langage et leurs interrogations. Même que Claude, il est commandeur des Arts et des Lettres ! Benjamin, lui, est officier, et ce n’est qu’un début. Cette conférence dansée est une invitation, non pas à clore leur chapitre, mais à continuer de puiser dans cet océan de ressources immense pour continuer d’inventer d’autres modes d’expression, de rebellion, de passion. Comme le chante Léonard Cohen : « Dance me to the end of love ».

Durée 1h35
Conférence dansée
par Claude Brumachon et Benjamin Lamarche
Lumières et son en connivence avec Denis
Rion † et Christophe Zurfluh
© Laurent Paillier
Claude Brumachon & Benjamin Lamarche
Avec le soutien de l’Office Artistique
Région Nouvelle-Aquitaine