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Trois petits pas avec Seiji Ozawa

Maestro Seiji Ozawa, le grand chef japonais amoureux de Paris nous a offert mille ans de bonheur et de musique

Depuis ses débuts officiels, le 14 avril 1961, sur la scène de Carnegie Hall, Maestro Seiji Ozawa fait danser notre vie. Quiconque a vu ce magicien sur scène n’oubliera jamais l’art unique avec lequel il sait animer la musique. Chamane pour les uns, magicien pour les autres, chef aimé et vénéré, de Bach à Takemitsu, de Berlioz à Bartok, de Strauss à Corigliano, du baroque au contemporain, il a tissé un pont entre tous les musiciens du monde et plus particulièrement entre la France et la Japon, avant de rejoindre les étoiles, le 9 février 2024, après 88 années de dévotion et d’amour pour la musique.

Petite rivière

Son nom d’abord. Ozawa, c’est une petite rivière en japonais et Seiji, cela signifie, « je vais mon chemin ». Celui qu’il a tracé est unique, passant de l’Asie où il est né, à la planète entière. Seiji Ozawa naît le 1er septembre 1935 à Shenyang, dans l’état chinois de Manchourie état, alors sous tutelle de l’empire japonais. En 1944, la famille se réinstalle au Japon. Son père est dentiste et bouddhiste, sa mère est chrétienne. La pratique musicale vient de là. Avec ses trois frères, il forme un quatuor pour chanter des gospels à l’église, en tant que baryton. « Nous avions un accordéon, et un harmonica avant d’avoir cet instrument insolite pour les japonais de l’époque qu’est un piano, racontait-il à Paris Match. Nous étions affamés de culture occidentale.Lorsqu’elle est arrivée après la seconde guerre mondiale, cela a eu un effet fantastique. Pour moi, Bach, Beethoven, Mozart parlent un langage universel. » A 14 ans, le destin s’appelle Rugby pour le jeune Seiji. Avec l’énergie qui le caractérise, lors d’un match, il se casse deux doigts et se fracture la mâchoire. « Adieu le piano !, poursuit-il, il ne me restait qu’à devenir chef d’orchestre. Mais cela paraissait difficile à l’époque, on m’expliquait que seuls des Occidentaux pouvaient exercer ce métier. »

Qu’importe, Seiji Ozawa tente le coup. A 16 ans, il est reçu à l’école Toho de Tokyo. « J’ai commencé par les symphonies de Haydn, de Tchaikovski, de Mozart, comme celle-ci, par exemple, la 40, en sol mineur, l’un des archétypes de la culture occidentale, dans toute sa grâce et son pathos. »

Le jeune Seiji Ozawa est arrivée en Europe sur un scooter, dénommé Speed Rabbit.

L’Europe à scooter

À l’école Toho, Seiji Ozawa a donc été adopté par son maître Hideo Saïto. « Saïto avait étudié en Allemagne, avait épousé une Allemande. Il était absolument gigantesque dans l’esprit, l’inspiration, l’âme. J’ai dû diriger et passer tous les concours, mais il m’avait expliqué comme diriger sans parole, juste par les mains. Sinon, je n’y serai jamais arrivé, car je ne parlais ni anglais, ni aucune autre langue européenne. » Le maître le convainct de quitter le Japon pour aller poursuivre ses études en Europe. Pendant le printemps 1959, il persuade un fabricant de moto de lui offrir un scooter et de payer son voyage pour faire la promotion de l’engin en Europe. Il n’emporte avec lui qu’une guitare, car il pense qu’un musicien doit toujours transporter avec lui un instrument de musique. Son paquebot, le Amaji-San Maru remonte vers l’Europe en neuf semaines. Ozawa débarque à Messine. Il rejoint la France à scooter, de la marque Rabbit, vivant de petits boulots pour payer son voyage. Et le voici à Paris, où il assiste à sa première représentation dans la capitale. Une opérette d’Offenbach. C’est le début d’un amour profond pour la France et pour la musique française, Berlioz, Ravel, celle qui danse comme lui.

Seiji, l’Américain

Début des années 1960, c’est le début d’une grande histoire d’amour entre Seiji Ozawa et le Boston Symphony Orchestra. Invité au festival de Tanglewood aux Etats-Unis par le grand chef alsacien, Charles Munch, il reçoit le prix Koussvitzky du meilleur chef étudiant et madame Olga Koussevitsky, la veuve du chef, le présente à Leonard Bernstein. Qu’est-ce que Tanglewood ? C’est une très belle propriété située à Lenox dans le Massachussetts où a lieu chaque année un festival de musique classique et de jazz. Depuis 1937, le Boston Symphonie Orchestra y tient sa résidence d’été et accueille plus de 5000 spectateurs sous son grand hall et, depuis 1994, sous le hall Seiji Ozawa. Car, après une année d’études auprès de Herbert von Karajan à Berlin, Léonard Bernstein prend le jeune Seiji Ozawa sous son aile et lui permet de faire ses gammes auprès des grandes formations américains et de prendre date à Carnegie Hall à New-York.

Seiji et Paris, ville lumière

Arrivé à Paris en 1959, il a dirigé pour la première fois l’Orchestre National de France le 22 octobre 1966 dans les Sept Haïkaï d’Olivier Messiaen et a travaillé pendant plus de quarante ans avec la formation de Radio-France, jusqu’à la création du Temps l’horloge d’Henri Dutilleux avec Renée Fleming, le 7 mai 2009 au Théâtre des Champs Elysées. Il connaît la ville lumière par cœur. Il y possèdait un petit appartement dans le IXe arrondissement, d’où il pouvait aller à pied au Palais Garnier. « J’aime la simplicité, confiait-il à l’un de nos confrères du Figaro Magazine, dans la vie comme dans la musique. Pour Bastille, je prends le métro. »

Maestro dans son habit, est entré en 2001 à l’Académie des Beaux Arts

À Paris, et à La Bastille, justement, il a réalisé pas mal de ses rêves également car il a toujours organisé sa carrière de façon à pouvoir se consacrer au lyrique. Le Palais Garnier, puis l’Opéra Bastille l’ont souvent invité pour des productions lyriques : Turandot, qu’il avait donné en 1981 avec Montserrat Caballe, Falstaff de Verdi qu’il avait donné pour la première fois à entendre au Japon en 1982. En 1983, il y a eu cette chose immense la création du Saint-François d’Assise commandé par Rolf Liebermann à Olivier Messiaen. Et aussi, en 1989, Carmen avec Jessye Norman, Les contes d’Hoffmann, et encore, l’inoubliable Damnation de Faust d’Hector Berlioz, commandée en 2001 par Hugues Gall, dans la mise en scène de Robert Lepage. Année où il est entré sous la coupole de l’Académie des Beaux Arts. Le jour de sa disparition, les musiciens lui ont rendu hommage : « L’Orchestre National de France a perdu un de ses pères. Que de souvenirs s’échappent aujourd’hui avec la disparition de ce maître toujours si délicat, si attentif, si discret, si génial et tant aimé. 

« Dormez sur vos deux oreilles, faites de longues marches, rêvez tout éveillé. »

En mémoire du maître Saito

Seiji Ozawa, le magicien de la musique, le passeur du bonheur, a couru la planète, puis est rentré à la maison, au Japon où il a fondé en 1984 le Saito Kinen festival – Kinen, comme souvenir du maître Saïto. A l’origine, c’était surtout un hommage au maître vénéré. Aujourd’hui, expliquait Seiji Ozawa, « je veux que Saïto Kinen soit par son excellence un aiguillon qui stimule les orchestres japonais et les encourage à hausser leur niveau. La nouvelle génération doit prendre la relève. Tout être humain a sa propre manière de vivre. Laissez-moi vous confier certaines de mes coutumes : dormez sur vos deux oreilles, faites de longues marches, rêvez tout éveillé. »

Chaque année, à Matsumoto, on fait des découvertes, comme cette œuvre de Toru Takemitsu, l’un des rares compositeurs japonais que Seiji Ozawa a interprété qui tend un pont entre musique occidentale et univers japonais. C’est écrit en anglais pour voix de baryton. Le texte, de Ruichi Tamura, s’appelle « my way of life ». Seiji Ozawa aime ainsi dire cela : « Ma règle est d’éviter les mots. Il n’y en a qu’un pour dire bonheur, mais la musique a des douzaines de façon de traduire ce mot. »

Frédérique Jourdaa

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