
Le 13 septembre, l’association altruisme efficace france (AEF) tenait son premier sommet à Paris, en France, à l’espace Saint-Martin. Près de trois cents personnes avaient fait le déplacement pour assister à cette journée de conférences et rencontres autour d’une question centrale : comment orienter nos ressources pour avoir le plus d’impact positif possible. Définition de ce mouvement social vingtenaire, carrières à fort impact, Intelligence Artificielle, Pauvreté dans le monde, souffrance animale, dons et actions. L’occasion de comprendre ce mode de pensée alternatif qui regarder différemment le kaleïdoscope de nos vies pour cesser de nous soumettre à la loi du plus fort.

Depuis toujours, ou presque, on nous apprend que le plus puissant, le plus grand a tous les droits et toujours, le dernier mot. Ce n’est peut-être pas un hasard, si l’association Altruisme Efficace France avait choisi de tenir son premier sommet à l’espace Saint-Martin, l’une des plus anciennes rues de Paris, dédiée à ce soldat romain qui partagea son manteau militaire avec un déshérité transi de froid. Déjà, en ce IVe siècle, celui qui allait devenir évêque de Tours, contournait l’ordre établi en considérant plus pauvre que lui. Dix-sept siècles ont passé et altruisme efficace france poursuit l’exploration des voix de l’humanisme.
Ce qu’est l’altruisme efficace. Né à la fin des années 2.000, en se fondant notamment sur les écrits du philosophe australien Peter Singer (1946-), l’altruisme efficace (en anglais effective altruism) a abandonné beaucoup d’idéaux pour proposer un chemin adapté aux enjeux du XXIe siècle. Pas de lyrisme, de mysticisme, pas de « Grand Soir », dans ce mouvement social qui vise, humblement, à adopter une démarche analytique afin d’identifier les meilleurs moyens d’avoir un impact positif sur le monde. Les chocs des grandes crises économiques sont passées par là. L’Altruisme Efficace se distingue par « la volonté d’évaluer de manière rigoureuse les différentes actions que l’on peut entreprendre, sans se restreindre à une cause prédéterminée, et en prenant en compte le fait que nous avons des ressources limitées à notre disposition (telles que les moyens financiers, le temps, les compétences », et donc, « à prioriser les interventions altruistes possibles et, de manière plus générale, les problèmes globaux sur lesquels concentrer nos efforts. »

Construire une IA entièrement bénéfique. Avec un sens aigu de la pédagogie et de la synthèse, Guillaume Vorreux et Antonin Broi, président d’Altruisme Efficace France (AEF) ont présenté en ouverture « ce qu’est l’altruisme effiace (et ce que ça n’est pas) ». Après cette introduction, pendant que Thomas Beuchot, doctorant en sciences cognitives ENS-PSL, s’interrogeait sur les individus qui pouvaient s’estimer les plus concernés par l’altruisme efficace, j’ai suivi la conférence de Capucine Griot sur le sujet « développer une carrière à fort impact ». Jusqu’à ce jour, je le confesse, je n’avais jamais envisagé une telle question. Dans ma génération, on pouvait encore imaginer que « suivre sa passion » suffisait. Ce n’est plus envisageable aujourd’hui. En France, le marché du travail se porte aussi mal que la dette, sans doute en raison de l’inadéquation entre les schémas classiques des grandes entreprises et les enjeux sociétaux et environnementaux qui attendent les nouveaux arrivants et qui seront encore plus bousculés par la grande vague de l’Intelligence Artificielle si elle n’est pas maîtrisée. C’est d’ailleurs l’un des sujets de recherches importants d’AEF : « comment construire une IA entièrement bénéfique ? »
Développer une carrière à fort impact. Avec bienveillance et esprit positif, Capucine nous a expliqué à travers l’exemple très concret de sa vie. Monteuse au cinéma pour les documentaires et longs métrages, elle a lâché cette passion le jour où elle a compris que voulait « essayer d’avoir le plus grand impact positif ». « Agir par sa carrière, c’est inégalé, on devient soi-même un acteur du changement et comme on passe 80.000 heures de notre vie à travailler, autant bien choisir son domaine pour s’épanouir dans son travail. Il n’y a pas de recette parfaite, mais AEF propose des formations et un guide carrière qui permet de construire ses compétences et de proposer un profil pertinent pour les carrières à fort impact. » Autre élément à prendre en compte, le choix de son domaine de compétence et l’utilité de « se consacrer à un problème de grand ampleur négligé et avec un fort potentiel d’amélioration », ce qu’en d’autres termes, on pourrait appeler une « niche » ou « the right man in the right place (la bonne personne au bon endroit). Car AEF place le travail et la bonne utilisation des compétences au cœur de son action. Travailler, toucher un salaire, voire ses compétences reconnues, se trouver en sécurité financière et disposer d’un bon réseau permettent ensuite de mieux agir par sa carrière ou par son engagement. On aurait dit jadis : « aide-toi, le ciel t’aidera » ou encore, comme le dit le sage Thich Nhat Hanh, « tu ne peux aimer les autres, si tu ne t’aimes toi-même. » Pour le dire, encore plus pratiquement, dans les avions, si l’air vient à manquer, il faut d’abord placer un masque sur son visage avant d’aider les autres à respirer…


L’Humanité en péril. Fort(e) de ces conseils et rassasiée par un très bon déjeuner végétalien, l’assistance nombreuse s’est motivée pour une après-midi studieuse. Ainsi que le rappelaient les membres du directoire, « l’altruisme efficace, c’est passer de la réflexion à l’action concrète. » Les propositions et les matières à réfléchir abondaient aux réunions informelles qui se tenaient dans l’espace Zodiac pendant que les l’auditorium accueillait de nouveaux intervenants. Samuel Dupre, Juliette Finetti et Loic Watine expliquaient comment leurs associations, Happier Lives Institute , Lead Exposure Elimination Project et Innovation for Poverty Action. Ils étaient suivi par des éclairages la santé mentale, enjeu majeur de nos sociétés, mené par Juliette Michelet, psychologue, doctorante ENS-PSL) et par un focus très concret préparé Romain Barbe, fondateur avec Jennifer de l’association Mieux Donner . Dans les années 1960, on pensait qu’on allait enfin éradiquer la faim, les maladies, les guerres dans le monde. Comme nous nous sommes trompés. En quelques mots, Romain a corrigé le tableau : « 14.000 enfants meurent de maladies évitables chaque jour : 100 milliards d’animaux terrestres sont tués chaque année ; le changement climatique met en péril des millions de vie ; l’humanité fait face à des risques qui menacent son existence »… Bon, et on fait quoi ? Vraiment très utile cette association, créée en juin 2024, qui permet de sélectionner rigoureusement les associations de terrain qui aident le plus dans divers domaines : santé mondiale, développement, bien-être animal, changement climatique, afin d’optimiser les dons.


L’argent ne fait pas le bonheur ? Romain n’y va pas par quatre chemins. Il est particulièrement clair et persuasif. « Nous espérons créer une communauté autour de la générosité efficace. Il s’agit de s’engager publiquement à donner 10% de ses revenus. Plus de 10.000 personnes ont pris cet engagement à l’échelle mondiale. 10% des revenus d’un salaire moyen, c’est plus de 10.000 animaux épargnés des pires formes d’élevage, des centaines de tonnes d’émission de CO2 en moins, plus de 1.000 enfants qui bénéficieront de la vitamine A. C’est à la fois un impact concret et un engagement très fort. Le pays dans lequel vous êtes né vous donne des opportunités particulières. Si vous avez le salaire minimum en France, vous êtes déjà dans les 10% les plus riches dans le monde. L’argent n’a pas de valeur intrinsèque mais c’est un moyen d’avoir de l’impact. L’argent permet d’aider les autres, de réduire les souffrances. Vous pouvez agir seul, mais en vous rapprochant des associations les plus efficaces, vous pouvez faire de grands pas dans ces domaines car, soyons clairs, souvent le problème principal des associations, c’est le manque de thunes. Les responsables passent la moitié de leur temps à chercher des financements. »
« Avec le salaire minimum en France, vous êtes déjà dans les 10% les plus riches dans le monde »
Tel est la mission que Mieux Donner, comme de toute la communauté de l’Altruisme Efficace, avoir un esprit d’éclaireur et mettre une démarche scientifique au service des autres et du monde. Une tâche encore plus difficile et sujette à remise en question au XXIE siècle que jadis, car avant Paul Valéry et le XXE siècle, les explorateurs pouvaient penser que leur cartographie serait immuable, alors qu’aujourd’hui, chacun sait que tout est en équilibre fragile et instable.

Prévenir les souffrances animales, pourquoi ? Mais l’après-midi avance et, tandis qu’à l’étage du dessus, dans la salle Philae, Benoît Pelopidas, de Nuclear Knowledeges, https://www.sciencespo.fr/nuclear-knowledges/en/, le thinktank de Sciences-Po, évoque « les risques de conflits nucléaire, l’atelier : « Prévenir les souffrances animales, pourquoi, comment ? commence. Madeleine Amiel-Jourdaa dresse le tableau : « Nous tuons 85 milliards d’animaux vertébrés terrestres chaque année et 4,500 milliards de vertébrés et invertébrés, si l’on inclut les crevettes et les poulpes. Prévenir les souffrances animales est l’un des moyens les plus importants de réduire la souffrance dans le monde. » Il y a déjà plusieurs années que les philosophes essaient de penser cette souffrance. Gandhi disait qu’on reconnaît une civilisation à la manière dont elle traite ses animaux. Comme Peter Singer, en France, Yves Bonnardel et David Olivier avait posé les premiers jalons du mouvement anti-spéciste qui a fondé les premières Estivales de la Question Animale en 2002 et les cahiers antispécistes qui ont nourri la création de l’association L.214 et du parti animaliste. Une association Mission Sentience a lancé les premiers ateliers de prise de conscience de cette cause essentielle. « Je voulais montrer : c’est ça qu’on fait aux animaux et aussi dire, on n’est pas obligés de les manger, ça les fait souffrir. C’est peut-être la plus grande discrimination de notre histoire, du moins de ce qu’on en connaît, expliquait Jérémy Dubois, son fondateur, dans un entretien au Futurologue, mais cette réflexion engage notre société vers une remise en question de valeurs très anciennes qui se retrouvent bouleversées.»
Le mouvement en est encore à ses débuts. Il y a tant de choses à faire, comme l’explique Keyvan Mostafani, directeur d’Anima. « A quoi ressemble la vie des animaux d’élevage en ce moment : 30 millions de chiens sont tués pour l’alimentation chaque année. Depuis 80 ans, on modifie les poulets pour qu’ils grossissent de plus en plus vite et soient plus rentables. Tout cela n’est pas normal. J’essaie de me satisfaire de ce qu’on peut gagner pour les animaux aujourd’hui. Il faut avoir des demandes plus modestes. Tout le monde ne peut devenir vegan, mais on arrive à des victoires, comme l’interdiction de la construction de nouveaux élevages de poules en cage inscrite dans la Loi Egalim 2018, la promesse des CROUS de viser 50% de repas végétariens d’ici 2030, la recherche sur les protéines alternatives, plus pratiques, plus économiques et savoureuses. »

Elisa Autric, administratrive d’AEF est la dernière intervenante de cet atelier. Depuis plusieurs années, elle travaille dans un thinktank américain investi dans la question des animaux invertébrés, tout particulièrement les crevettes. Allez, soyons sérieux, avez-vous déjà envisagé la souffrance des crevettes quand une vingtaine sont alignées dans votre assiette ? Je l’avoue, moi, non. Elisa ne s’y trompe pas, « les crevettes sont une cause de grande ampleur mais négligée. Elles sont élevées en grand nombre, dans un cadre où il n’y pas de cadre. 440 milliards d’individus par an sont soumis à ces élevages. » Mais saviez-vous qu’outre cette existence confinée dans des lieux où la qualité de l’eau est insuffisante, des millions d’entre elles, les femelles gestantes font l’objet d’éponculation oculaire ? Cela veut dire qu’on leur arrache les yeux pour stimuler leur production d’œufs.
« Prévenir la souffrance » ?
Après cinq ans recherches, le thinktank où travaille Elisa Autric a obtenu que certains élevages mettent en place des mesures d’étourdissement avant l’abattage de leurs crevettes. Dans le monde tel qu’il est, tout cela peut sembler accessoire, mais, avec un peu d’ouverture d’esprit, on se rend compte que réfléchir sur la prévention de la souffrance a le même sens pour tous, qu’il s’agisse d’invertébrés, de mammifères, d’animaux non humains ou d’humains. Il n’y a pas si longtemps, on opérait les bébés sans anesthésie. En Occident, on se moquait des moines tibétains qui déplaçaient les vers avant de labourer leur terre, avant de comprendre que ceux-ci jouent un rôle fondamental dans la fertilisation des cultures. Nous avons encore tant de progrès à faire pour travailler sur nous-mêmes, assouplir notre regard sur notre prochain et sur le monde. Ainsi que le concluait Guillaume Vorreux, au nom de tous les membres d’AEF, il est temps de « passer à l’action ».

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