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Bofinger, roi de la pression et génie méconnu de la Bastille

En ces temps où janvier et le couvre-feu font nos nuits longues et nos rues sombres, il faudrait dresser une statue à Frédéric Bofinger, le restaurateur alsacien, qui ouvrit en 1864 une cantine où l’on découvrit pour la première fois le désormais fameux , « demi-pression ».

Ah, la première gorgée de bière, comme elle nous manque en ces temps où les cafés, bistrots, limonadiers demeurent porte closes. Alors fermons les yeux, réveillons nos papilles et sentons sous nos fesses la banquette en moleskine d’une bonne brasserie où le brouhaha ambiant taquinerait gentiment nos oreilles.

Rêvons de tablées joyeuses où l’on trinque avant de piocher dans le même plat, sans y penser. Rêvons de refaire le monde sur une table ou au coin du zinc et de s’attarder avec des amis chers, jusqu’à pas d’heure. Nous y somme, c’est une fameuse adresse de la Bastille où le riesling et la bières coulent à flot….

L’enseigne de la brasserie Bofinger, rue de la Bastille à Paris

L’Alsace et la bière, c’est une vieille histoire. Certes, les Egyptiens l’ont inventée il y a six mille ans, les Gaulois l’ont popularisée en la surnommant Cervoise. Mais il faut attendre le lent travail des Moines trappistes entre le IXe et le XIIE siècles pour en améliorer la fermentation et l’épicer de houblon, réputé pour ses vertus antiseptiques. En Europe du Nord, on la déguste alors dans les abbayes à qui Charlemagne a conféré le monopole de fabrication et c’est Saint Louis que revient, entre autres bienfaits le mérite de l’affranchir de ces saints lieux en créant en 1268 le corps de métier des brasseurs. Les premières brasseries s’installent en Alsace et y prospèrent. En 1803, plus de 250 établissements tiennent le pavé à Strasbourg. Elles connaissent leur apogée entre 1855 et 1870, lors de l’invasion allemande.

Et c’est à ce moment que Frédéric Bofinger profite de la ligne Paris-Strasbourg pour gagner la capitale qui découvre elle aussi la fièvre dorée. Frédéric Bofinger n’a pas un sous en poche, mais plein d’idées dans la tête. Et il aime la bière.

Imaginez la place de la Bastille dans le Paris des années 1860. Moins d’un siècle a passé depuis la chute de la forteresse et les éclats sanglants de la guillotine révolutionnaire. Face au petit génie de la Liberté juché sur la colonne de Juillet, Napoléon III vient d’inaugurer la nouvelle gare de Paris-Bastille qui emmène les Parisiens vers les bords de Marne et les guinguettes.

En 1864, alors que ses compatriotes rayonnent autour de la gare de l’Est, Frédéric Bofinger s’installe à la Bastille, à la lisière du Marais et du Faubourg Saint-Antoine où de nombreux Alsaciens travaillent le bois. La bière d’Alsace est réputée pour être la meilleure, elle rafle toutes les médailles d’or à l’Exposition Universelle de 1867. Bofinger passe marché avec la maison Cronenbourg – devenue en 1947 Kronenbourg- et abreuve les Parisiens, assoiffés et heureux, au moyen d’un nouvel engin, la pompe à pression (voir graphique). Sa cantine qui n’occupe que quelques mètres de façade rue de la Bastille, est la première à servir ce que l’on nomme bientôt le demi « à la pression ».

Gambrinus, roi mythique de Flandre et Brabant

Le grand mérite de cette technique est de faciliter la conservation, le transport du breuvage instable. Et donc sa qualité. Après les amphores antiques, les tonneaux gaulois, les fûts métalliques apparus au XIXe siècle, te l’augmentation de leur capacité (20, 60 et jusqu’à 400 litres) favorisent le débit et l’animation des lieux. La pression permet de tirer la bière que nous connaissons, fine, légère, pétillante ou veloutée sous la langue, avec sa mousse blanche plus ou moins épaisse que l’on lisse à l’aide d’une spatule et dont les excès s’écoulent lentement dans le rince-verre.

De partout, on accourt rue de la Bastille, chez Bofinger pour une bonne rasade bien fraîche. Servie dans des pots en grès que les clients apportent eux-mêmes, avec de la charcuterie et de la choucroute, ce n’est pas une boisson de fillette, elle titre entre 18 et 25°. En 1870, quand la Prusse annexe l’Alsace et la Lorraine, les réfugiés affluent dans Paris et assurent le succès de l’établissement. On y croise le chansonnier Aristide Bruant qui apporte ses propres œufs pour qu’on lui prépare « la plus savoureuse omelette du monde ». Nini Pot de Chien n’est jamais très loin.

L’horloge égrène les heures gourmandes

En 1906, après plus de quarante ans de comptoir, Frédéric Bofinger cède l’affaire à son gendre, Alfred Bruneau. Associé au maître d’hôtel Louis Barraud, ils rachète la crèmerie, la boulangerie et l’entrepôt de charbon voisins pour créer d’élégants salons et la belle salle de la Coupole ornée d’une immense verrière art déco. En 1930, Bofinger est devenu une institution, portée par la belle enseigne dessinée tout exprès par le peintre alsacien Hansi. La France de la Belle Epoque se régale de sa savoureuse cuisine. Pendant l’Exposition Coloniale de 1931 dont les pavillons sont plantés dans le bois de Vincennes tout proche, on y sert 2.000 couverts par jour.

150 ans plus tard, Bofinger, repris en 1996 par le groupe Flo, continue de porter l’excellence culinaire française. François Mitterrand y a fêté son élection. Coluche avait coutume d’y réunir les Enfoirés et on y sert bien sûr toujours la bière à la pression. « Un demi, garçon, bien frais, s’il vous plaît !

Chez Bofinger,

5-7 rue de la Bastille, Paris 4e

Tél : +33 (0)1 42 72 87 82

Le pignon de l’immeuble Bofinger rue de la Bastille
http://www.bofingerparis.com

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