EN SCÈNE GRANDES FIGURES PARIS Poésie

Dans les yeux de Monet : sept mois dans la vie d’un « fêlé ».

Celle qui va ramener la lumière… (Maud Baecker) et Paul Durand-Ruel (Eric Prat)

Qui n’a rêvé de comprendre comment Claude Monet s’y prenait pour « accrocher follement aux herbes des haillons d’argent » ? Par quel savoir ou quelle magie, par le filtre de sa palette, les blancs devenaient si blancs, les  verts si intenses… Avec la pièce, « Dans les yeux de Monet » sur un texte de Cyril Gély, Tristan Petitgirard s’y emploie avec une sensibilité exquise qui met en scène un trio en forme d’allégorie : un Monet bourru incarné par Clovis Cornillac, une muse libertine sous les traits de Maud Baecker et Pau Durand-Ruel (Eric Prat), le marchand d’art au grand cœur. Actuellement au Théâtre de la Madeleine à Paris.

Claude Monet aimait-il Erik Satie ? On peut se le demander quand le noir se fait dans le charmant théâtre de la Madeleine qui fut inauguré à peu plus un an avant la mort du peintre. Avant que le décor n’apparaisse, des notes de piano s’égrènent et, oui, on se souvient que Claude et Erick furent amis et se croisèrent à Honfleur, dans la ville natale du compositeur (1866-1925), si chère au maître de l’impressionnisme (1840-1926). C’est bien cette lumière « couleur d’huître » qu’installe la première Gnossienne avant que l’œil du spectateur ne pénètre dans une mansarde plutôt austère malgré ses teintes pastel. Et, précision subtile, Satie composa ces oeuvres pour piano, dont il inventa le titre mystique, entre 1890 et 1893, juste avant que Monet ne réalise sa série des Cathédrales de Rouen, cet ensemble de trente pièces représentant le portail occidental de la cathédrale Notre-Dame, à différents moments de la journée, entre 1892 et 1894. Ce souci minutieux est bien ce qui caractérise le travail de l’équipe scénique. Comment ? Pas d’iris, pas de ponts japonais ? Pas de massifs flamboyants ? Non, il y a tant à dire et à écrire sur l’auteur d’Impression, soleil levant, mais l’auteur de la pièce, Cyril Gély, la scénographe, Stéfanie Jarre, et le metteur en scène Tristan Petitgirard ont choisi de se concentrer sur ce huis-clos pour coller au plus près du regard et du pinceau du peintre.

Se glisser sous l’oeil de Monet (Clovis Cornillac)

« La peinture est bien sûr au centre, explique Tristan Petitgirard, mais cette pièce est l’histoire d’une renaissance, d’une renaissance par la lumière. C’est donc par la lumière que j’ai travaillé les extérieurs, derrière la verrière, et aussi l’évolution de la lumière en fonction de l’état intérieur des personnages. Il y a un travail de projection sur les décors magnifiques réalisés par Stéphanie Jarre. On retrouve de nombreuses toiles de Monet : la gare Saint-Lazare, le portrait de Camille Pour cet aspect-là, j’ai travaillé avec un vidéaste, Mathias Delfau, avec lequel j’avais déjà collaboré pour La Machine de Turing. Toutes les images sont de Monet. On traverse son œuvre. Notre défi, c’était de travailler les entrées de lumière, notamment ici avec une verrière par laquelle il regarde la cathédrale. Je voulais que le spectateur voie Monet regardant la cathédrale. La pièce se déroule en huis-clos mais Monet ne fait que regarder à l’extérieur. C’est un homme saisi par le doute ; il n’arrive plus à peindre, il voit tout en noir, et cette jeune femme va le ramener à la lumière. »

Monet, sur scène, c’est Clovis Cornillac. Il accède à sa chambrette d’une marche lourde avec sa veste grossière et ses godillots, accompagnée de son marchand, Paul Durand-Ruel (Eric Prat) qui le loge et le nourrit de haricots. Il est le bon vieil ami qui subvient comme il peut aux exigences financières de son artiste et le pousse dans ses retranchements.Monet en 1892, c’est tout le contraire de la fougue ardente de Rodolphe, le héros de la Bohème d’Henri Murger et de Giacomo Puccini. Eprouvé par la vie et les deuils, l’époux de la défunte Camille est devenu un ours mal léché qui dit non à tout et à tous. Mais il y a ce jeune modèle, délurée, mutine, coquine, à qui la ravissante Maud Baecker prête son joli minois, qui surgit quand il ne s’y attend pas et s’évanouit quand il la réclame. Par sa grâce, on verra ainsi rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux.

Par le talent de cette troupe naissent quelques moments magiques où l’on a le sentiment, vraiment, de se glisser sous la paupière de Monet, de comprendre son Blanc, son Bleu, son Mauve, même « la couleur de la mort »… Et aussi, pourquoi son ami, Georges Clemenceau (1841-1929) avait recommandé à l’État français d’acheter la série complète des cathédrales – ce qui ne fut, hélas, pas fait. Cette heure trois quart, de musique, d’art et de poésie, offre avec beaucoup de fraîcheur et de tendresse une bien jolie allégorie sur les mystères de l’inspiration et de la création. Comme le dit le dicton populaire : « Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière. »

Le petit théâtre de la Madeleine, inauguré entre 1924 et 1925, où Sacha Guitry fit les doux yeux à Paris

Actuellement au théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, Paris 8E, du mercredi au samedi à 21h, les samedis et dimanches à 15h30

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