EN SCÈNE Musique OPÉRA

Un tombeau pour Beatrice di Tenda

Vincenzo Bellini, le destin mystérieux d’un compositeur trop aimé

Amoureuse, fidèle, passionnée, généreuse, innocente… La mort n’a pas vaincu Béatrice di Tenda. Six siècles après son exécution inique, l’opéra méconnu de Vincenzo Bellini (1801-1835), dans la mise en scène ciselée et engagée de Peter Sellars pour l’Opéra de Paris, continue de porter son message au nom des femmes libres. Une révélation bouleversante.

Béatrice Di Tenda, Peter Sellars (Elisabeth Bauer pour l’Opera de Paris)

Ce furent ses derniers mots : « Ah, la mort vers laquelle je m’avance est un triomphe et non une peine. De la vie qui me quitte j’emporte seulement votre amour. » Le 13 septembre 1418, à l’aube, dans la cour de son château de Binasco, Béatrice Lascaris de Tende (1372-1418) monta à l’échafaud. La duchesse de Milan a 46 ans. Après quatre jours de tortures, ce qu’on appelle alors la Question, elle avait avoué un forfait qu’elle n’avait pas commis, l’adultère dont son mari, Filippo Visconti, duc de Milan, l’accusait sans preuve, mais avec la nette intention de se débarrasser d’une épouse très riche et de vingt ans son aînée. Après le crime commis dans le huis clos du château, le corps supplicié ne reçut aucune sépulture. Mais la réputation d’honnêteté, de bonté et de courage de Béatrice Di Tenda auprès de ses sujets a préservé son souvenir jusqu’à ce que Vincenzo Bellini, le compositeur italien, écrive un opéra à sa mémoire et la consacre ainsi comme l’une des grandes figures féminines de l’histoire.

L’œuvre, créée le 16 mars 1833 pendant le Carnaval à la Fenice de Venise, avait été un échec, trop moderne, peut-être, inattendu. Bellini était parti pour Paris où sa modernité serait peut-être entendu auprès de son fidèle cercle d’amis et du grand public. Le 24 janvier 1835, le triomphe des Puritani sur la scène de Comédie Italienne à Paris avait effacé Beatrice di Tenda. Longtemps demeurée dans l’oubli, elle passionne depuis longtemps Peter Sellars. le metteur en scène américain s’est attaché à restituer la permanence des thèmes abordés par le librettiste Felici Romani. « Je suis obsédé par Beatrice di Tende depuis déjà 25 ans, explique-t-il. C’est un opéra inconnu, méconnu. Bellini est mort très jeune. Beatrice est son avant dernier opéra, le plus expérimental, un opéra de libération, de courage face à toutes les dictatures, qui cherchait à ouvrir de nouveaux mondes. »

Béatrice Di Tenda, Peter Sellars

 Voici donc le mystère que Peter Sellars nous invite à explorer dans le décor unique de Georges Tsypin, « un grand palais métallique, une nouvelle forteresse de la Bastille », mais où aucune intimité ne serait plus possible du fait de l’omniprésence des caméras de surveillance et autres espions numériques. Le drame de cette femme, intègre et amoureuse, qui se voit trahie, bafouée, torturée, par celui qu’elle a aimé et protégé, est sublimé par les mélodies sublimes tissées par Vincenzo Bellini pour chacun des personnages, les innocents Béatrice di Tenda (Tamara Wilson) et Orombello (Pene Pati), comme les traitres déchirés, Agnese des Maino (Theresa Kronthaler)et Filippo Visconti (Quinn Kelsey). L’auteur de nombreux chefs d’œuvres, dont la Norma (1831), mort mystérieusement à Puteaux en 1835, offre aussi un rôle majeur et inédit à un autre acteur, le Chœur, montrant ainsi la voie à ceux qui lui succèderont plus tard, Giuseppe Verdi, Alexandre Borodine, Modeste Moussorgski, Benjamin Britten dans cette mise en valeur de cet océan vocal.

Franck Ferville pour l’Opéra de Paris

D’abord extérieur à l’enceinte du palais-labyrinthe, le Choeur s’immisce de plus en plus dans le huis clos des protagonistes. Guidés par Ching-Lien Wu, les artistes du chœur de l’Opéra de Paris, préparent de longue date cette production dans laquelle ils incarnent, tour à tour les conseillers, les confidents, les juges, les témoins horrifiés des tortures infligées à leur souveraine. Ils nous interpellent, nous aussi, spectateurs, sur notre manière de réagir face à l’injustice et à la haine. Comme l’écrit Peter Sellars, l’implacable procès de cette femme dont la seule faute a été d’aimer est une contribution à toutes les situations actuelles et « oppose à la force brutale de la dictature, tout ce qui est le plus tendre de l’être humain. »

Frédérique Jourdaa

Beatrice di Tenda du vendredi 9 février 2024 au jeudi 7 mars 2024Direction musicale : Mark Wigglesworth Mise en scène : Peter Sellars Décors : George Tsypin Costumes : Camille Assaf Lumières : James F. Ingalls Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz Chef des Choeurs : Ching-Lien Wu Distribution : Filippo Visconti : Quinn Kelsey Beatrice di Tenda :Tamara Wilson Agnese del Maino : Natalia Kutateladze Orombello : Pene Pati Anichino : Amitai Pati
Opéra national de Paris-Bastillehttps://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=beatrice+di+tenda+opera+de+paris+
Place de la Bastille 75012 Paris Durée : 3 h 05 avec 1 entracte.

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