EN SCÈNE Musique OPÉRA

Qui ose aimer Médée ?

MÉDÉE Mise en scène : David McVicar Direction musicale : William Christie Décors et costumes : Sunny Christie Lumières : Paule Constable Chorégraphie : Lynne Page Chef des Ch?urs : Thibaut Lenaerts Médée : Lea Descendre Jason : Reinoud Van Mechelen Créon : Laurant Naouri Créuse : Ana Vieira Leite Oronte : Gordon Bintner Nérine : Emmanuelle de Negri Clone : Élodie Fonnard Arcas : Lisandro Abadie L?Amour : Julie Roset L?Italienne : Mariasole Mainini Ch?ur à trois voix : Maud Gnidzaz Une captive : Juliette Perret Second Fantôme : Virginie Thomas Une captive : Julia Wischniewski Ch?ur à troix voix : Alice Gregorio 1er Corinthien : Bastien Rimondi 2e Corinthien : Clément Debieuvre Un Argien : Matthieu Walendzik.

Le Palais Garnier et les Arts Florissants sortent leurs plus beaux atours pour offrir à l’opéra de Marc-Antoine Charpentier un écrin de beauté et d’excellence, essentiel pour affronter le destin le plus cruel et le plus tragique de la mythologie grecque.

Jason a-t-il aimé Médée ? Médée a-t-elle aimé Jason ? Dans la tragédie d’Euripide et dans le poème d’Apollonios de Rhode, la légende dit que la fille d’Éétès, le roi de Colchide, est tombée amoureuse du bel Argonaute venu dérober la Toison d’Or à son père. Pour lui, c’est moins clair, il est touché par la jeune fille mais, même s’il l’épouse, il l’utilise clairement comme un instrument de pouvoir. C’est ce qui apparaît avec évidence dans le texte de la tragédie de Thomas Corneille (1635), repris en 1693 par Marc-Antoine Charpentier. Et ce rôle de femme, d’épouse, de mère est sans doute l’un des plus riches et des plus complexes.

William Christie par Oscar Ortega

Après avoir crée l’événement en 1984, en le faisant revivre pour la première fois il y a quarante ans, William Christie l’offre cette fois au Palais Garnier avec une distribution et un effectif magistraux. Il avait signé une première production en partenariat avec Jean-Marie Villégier et Lorraine Hunt dans le rôle-titre en 1993-94. A l’époque, Paul Agnew, qui co-dirige maintenant les Arts Florissants avec William Christie. Trente années ont passé, la vision du grand Bill a eu tout le temps de mûrir et de s’affiner autour de cette partition qu’il affectionne toute particulièrement et considère comme « le dernier grand chef d’œuvre inconnu du répertoire français ». Avec son orchestre, ses chœurs et ses chanteurs, il offre une interprétation de ce bijou grand-siècle d’une limpidité idéale, où les récitatifs, les aria et les tutti s’enchaînent dans une fluidité et une diction si parfaites qu’on croirait parfois écouter des chansons populaires.

Cet épisode de l’épopée de Médée, choisi par Corneille, se concentre sur le moment où Médée, femme blessée et abandonnée, se résout à la vengeance. Alors que Jason se détourne d’elle et projette, dans un nouvel appétit de puissance, d’épouser la fille du roi Créon, Creuse, elle tente une dernière fois de le ramener vers elle. Mais, face à l’ingratitude de tous ceux avec qui elle a partagé ses pouvoirs, elle finit par basculer dans la plus horrible des vengeances.

La mise en scène de David Mc Vicar, arrive de l’English National Opera Londres où elle a été créée en 2013. L’Ecossais qui a aussi signé la merveilleuse Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea à l’opéra-Bastille, a pris outre-Manche le parti de transporter la tragédie dans l’espace-temps de la seconde guerre mondiale. Jason devient un officier britannique, Oronte, un G.I américain et Creuse, la copie du général de Gaulle. Tout le monde se rencontre dans une unique pièce aux hautes croisées qui évoque Versailles, référence à la création originale de l’œuvre sous le règne de Louis XIV. On peut y lire une métaphore de la guerre, de la course aux pouvoirs, et de ce qu’ils déclenchent : les armes, le sang, la mort des hommes et des enfants. Dans ce pêle-mêle atemporel, les artistes se frottent à des rôles où, comme dans toute opéra baroque, les émotions sont portées à incandescence.

Tout particulièrement les rôles des femmes, Médée, Creuse. Il faut beaucoup donner beaucoup de soi pour réaliser la bascule de la Médée soumise du premier acte à la magicienne déchaînée du final. Léa Desandre, artiste complète, s’y révèle en tragédienne de la plus belle veine. Tout comme Ana Vieira Leite, métamorphosée en Marilyn platinée, qui signe des débuts brillants au Palais Garnier. De Jason (Reinoud Van Mechelen), pleutre séducteur à Créon (Laurent Naouri), vil coureur de jupons et Oronte (Gordon Bintner), les hommes tiennent bien leur rôle, mais n’ont pas la part belle. « Un héros ne doit pas avoir l’âme sensible », dit Jason.

Médée, la magicienne, trahie par son époux Jason, se venge en offrant à l’amante de celui-ci une robe empoisonnée puis en tuant ses propres enfants. Tel est sans doute le personnage le plus insondable de la mythologie. A la ville comme à la scène, une femme qui se venge, ce n’est pas commun. C’est l’ordre inversé, la transgression absolue. Regardez Beatrice di Tenda (Bellini), Suor Angelica et Madame Butterfly (Puccini), tout le cortège des belles et tendres injustement sacrifiées. L’opéra est plein de fantômes, Médée les convoque, ouvre des trappes d’où surgissent des chimères, des poisons, des poignards, des esprits malfaisants. Tuer la douceur, la tendresse en soi, comme cela doit être difficile, c’est se tuer soi-même… C’est toute la grandeur de Médée, et sa détresse.

A l’Opéra de Paris, Palais Garnier du 10 avril au 11 mai, en mai sur Arte concert, le 1er juin sur France Musique


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