


Une satanée troupe de Brigands, emportée par la mise en scène folle de Barrie Kosky, mettent sans-dessus-dessous l’Opéra de Paris, le Palais Garnier, le livret et la musique de Jacques Offenbach. Toute similitude avec la folie et de la liesse des Jeux Olympiques 2024 à Paris est bien sûr fortuite (lol).

C’est l’allégresse dans Paris en cette fin d’’automne 1869. Le 17 novembre, on a célébré l’ouverture du canal de Suez qui livre à la convoitise des nations européennes les contrées de l’Extrême Orient. Toutes les fortunes sont permises. Le cœur de la Capitale est un chantier. De toutes parts les fondations sortent de terre. Les travaux du Palais Garnier battent leur plein. L’empereur Napoléon III espérait inaugurer son Opéra à l’occasion de l’exposition universelle de 1867, mais la nappe souterraine qui s’est révélée dans les fondements a retardé les travaux. Le premier étage est terminé et la toiture vient d’être posée.


Qu’importe, ce n’est pas là que Jacques Offenbach (1819-1880) compte créér son nouvel opéra bouffe en trois actes, les Brigands. Le compositeur d’origine allemande, qui a régalé Paris avec ses quatre opérettes – La Belle Hélène (1864), la Vie Parisienne (1866), la Grande-Duchesse de Gérolstein (1867) et La Périchole (1868) sur les livrets d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, surnommés Meil et Hal – poursuit sur sa lancée avec Les Brigands. Ils sont présentés au théâtre des Variétés, le 10 décembre 1869. Résumé en trois lignes : emmenés par leur chef Falsacappa et sa fille, la brune Fiorella, les Brigands mécontents de voir leurs revenus baisser, manigancent un grand coup, à savoir le rapt de la dot prévue pour les noces de la princesse de Grenade (Espagne), avec le duc de Mantoue (Italie). Ils montent une série de guet-apens mais finissent par se faire rattraper.
En ce soir de première, le fameux Chœur des Carabiniers est bissé. Bénédict, le critique du Figaro écrit : « Le premier acte des Brigands a décidé du succès de la pièce. Un fou rire s’est emparé des spectateurs à l’entrée des carabiniers. Il faut voir, il faut entendre le brigadier Baron dire, avec une voix de basse parlée sur le dessin rythmique de l’orchestre : “Nous sommes les carabiniers, La sécurité des foyers ; Mais, par un malheureux hasard, Au secours des particuliers, Nous arrivons toujours trop tard !».



155 ans plus tard, ce tube, devenu une ritournelle populaire, n’a pas pris une ride et l’excellent Laurent Naouri incarne un brigadier Baron toujours aussi désopilant dans la nouvelle mise en scène qui ouvre la saison d’automne au Palais Garnier. Rien n’a changé, ou si peu, non plus, côté politique. En 2024, le gouvernement de la France est, peut-on espérer, un peu moins chaotique puisque le 27 décembre 1869, 17 jours avant la première des Brigands, l’ensemble du gouvernement de Napoléon III avait démissionné. Quoique… Le metteur en scène Barrie Kosky a d’ailleurs confié à Antonio Cuenca Ruiz et Sandrine Sarroche l’écriture de nouveaux dialogues qui multiplient les emprunts contemporains, depuis Bercy jusqu’aux Jeux Olympiques 2024. Bien sûr, on rit, d’autant moins dépaysé que les costumes et les créatures en cuir et cuissardes qui envahissent la scène jouent avec les registres qui dominaient lors des cérémonies organisées par Thomas Jolly. Barrie Kosky a aussi couru jusqu’à Amsterdam pour convaincre l’épatant ténor Marcel Beekman de prendre le rôle imposant et omniprésent de Falsacappa, le chef des Brigands qui, pour l’occasion est travesti en sosie de Divine, la drag-queen dite « la plus salle de la terre » vedette de Pink Flamingos, le film trash de John Waters.



Tout est un peu à l’avenant sur la scène de Garnier, à commencer par les décors déstructurés, les ballets travestis, les costumes aux couleurs flashy, l’humour déjanté et la joyeuse pagaille, entraînant la salle dans un tourbillon de fous-rires. « Mauvais goût ! », s’exclameront certains ? Mais, justement, Barrie Kosky revendique ce grotesque dans l’œuvre d’Offenbach : « Le déguisement constitue l’essence même de la pièce, le moteur du récit. Les personnages ne sont jamais ce qu’ils prétendent être. Tout l’opéra repose sur l’idée qu’il ne faut pas de fier aux apparences et qu’il suffit d’endosser un costume pour revendiquer l’identité qui va avec. »

Marie Perbost, la brune Fiorella, et Antoinette Dennefeld, son fiancé Fragoletto, emmènent une distribution turbulente et joyeuse, qui cavale sur la scène du Palais Garnier sublimée par les décors en stuc et les toiles peintes qui figurent les montagnes des Brigands. On se laisse aussi éblouir par la splendeur des costumes pour lesquels les ateliers de l’Opéra de Paris ont donné leur meilleur. Mention spéciale et à l’arrivée, très attendue, des fameux vrais-faux Espagnols ! Dans la salle, on essaie, un peu de garder son sérieux – difficile n’est-ce pas de rire à l’Opéra ? – mais on finit par lâcher-prise, à taper dans les mains avec les Carabiniers:
« Nous sommes les Carabiniers, la sécurité du foyer.
Mais, par un malheureux hasard, au secours des particuliers,
nous arrivons toujours trop tard ! »

© Agathe Poupeney / OnP / 18/09/2024 / Palais Garnier – Opéra national du Paris /France / Pari
LES BRIGANDS
Compositeur : Jacques Offenbach
Livret : Henri Meilhac, Ludovic Halevy
Direction musicale : Stefano Montanari
Mise en scène : Barrie Kosky
Décors : Rufus Didwiszus
Costumes : Victoria Behr
Choregraphie : Otto Pichler
Lumières : Ulrich Eh
Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz
Chef des Chœurs : Ching-Lien Wu
LES BRIGANDS Compositeur : Jacques OffenbachLivret : Henri Meilhac, Ludovic HalevyDirection musicale : Stefano MontanariMise en scène : Barrie KoskyDécors : Rufus DidwiszusCostumes : Victoria BehrChoregraphie : Otto PichlerLumières : Ulrich EhDramaturgie : Antonio Cuenca RuizChef des Chœurs : Ching-Lien Wu Distribution :Falsacappa : Marcel BeekmanFiorella : Marie PerbostFragoletto :Antoinette DennefeldLe Baron de Campotasso :Yann BeuronLe Chef des carabiniers : Laurent NaouriLe Prince de Mantoue : Mathias VidalAntonio :Sandrine SarrocheLe Comte de Gloria-Cassis : Philippe TalbotLa Princesse de Grenade : Adriana Bignagni LescaAdolphe de Valladolid : Flore RoyerLe Précepteur : Luis-Felipe SousaCarmagnola : Leonardo CortellazziDomino : Eric Huchet Barbavano : Franck Leguerinel Pietro : Rodolphe Briand Zerlina : Ilanah Lobel?TorresFiammetta : Clara GuillonBianca : Maria WarenbergCicinella : Marine Chagnon La Marquise : Doris LamprechtLa Duchesse : Helene SchneidermanSangrietta / Pipa : Manon BarthelemyTortilla : Rachella KingswijkBurratina : Cecile L’HeureuxCastagnetta / Pipetta : Corinne MartinPizzaiolo : Victorien BonnetFlamenco : Nicolas Jean?BrianchonZucchini / Pipo : Jules RobinSiestasubito : Hedi Tarkani
Du 21 septembre au 12 octobre 2024, reprise du 26 juin au 12 juillet 2025
Durée : 2h50 avec entracte
Photos : © Agathe Poupeney / OnP / 18/09/2024 / Palais Garnier – Opéra national du Paris /France / Paris