EN SCÈNE GRANDES FIGURES OPÉRA

Don Quichotte rajeunit à l’Opéra de Paris

le 27 avril 2024 ©Emilie Brouchon

Si vous allez voir Don Quichotte de Jules Massenet à l’Opéra Bastille, attendez-vous à prendre un grand bol d’air frais, de fantaisie et de générosité avec la mise en scène inspirée de Damiano Michieletto qui révèle le trio entre Dulcinée, l’Hidalgo et son serviteur Sancho Pança sous un nouveau jour.

Depuis bientôt 420 ans que Don Quichotte traîne sa Rossinante et sa triste figure sur les chemins d’Europe en compagnie de son valet Sancho Pança, le vieux chevalier poussiéreux, ses moulins et l’ingrate Dulcinée croqués par l’écrivain Michel de Cervantes sont entrés dans notre mémoire collective. On sait bien, ou vaguement que « L’Ingénieux Noble Don Quichotte de la Manche », son titre intégral est le premier roman de la littérature européenne, publié à Madrid deux ans avant l’Orfeo de Monteverdi, le premier opéra. Chacun a collé à ses basques ses propres souvenirs, dont l’inoubliable Homme de la Mancha, composé et interprété par Jacques Brel en 1968.

Les violoncellistes vouent aussi un culte particulier à l’interlude de l’acte V du Don Quichotte de Jules Massenet. Morceau de bravoure qui tire immanquablement les larmes aux âmes sensibles. Et rien que ces 4 minutes d’émotion pure suffiraient à conseiller à chacun d’aller découvrir cette oeuvre majeure, sorte de testament musical de Jules Massenet (1842-1912). Avec sa belle figure et sa barbe fleurie, ce benjamin d’une famille de 12 enfants originaire de Saint-Etienne, également benjamin de l’Académie des Beaux Arts qu’il intègre à seulement 36 ans en 1878 a connu des succès ininterrompus dans le Paris impérial. Il fut ainsi l’auteur de plus de 450 oeuvres, dont l’oratorio Marie-Magdeleine, les opéras le Roi Lahore, Manon, Werther et Thaïs, dont la Méditation est l’un des solos pour violon le plus joué au monde. Il signait encore en 1910 à Monaco la création de son Don Quichotte interprété par la basse Chaliapine. Un opéra toujours joué dans le monde entier.

Ne cherchez pas trop longtemps les moulins, les brigands, la Rossinante attendus dans ce récit épique. Le livret signé Henri Cairn est bien de son temps avec ses alexandrins inspirés, ainsi que les déclame Sancho Pança (Etienne Dupuis) quand il prend la défense de son maître : « Riez du pauvre idéologue qui passe dans son rêve et vous parle d’églogue… comme autrefois Jésus. » Mais Damiano Michieletto s’accroche aux haillons de poésie semés au fil des pages pour tisser un nouvel habit de gloire à ce « vagabond inondé de tendresse ».

Sa mise en scène est d’abord légère, comme des bulles de savon avant de se laisser envahir par les ombres noires qui prennent possession de l’esprit tourmenté de cet homme généreux qui se mine de l’intérieur, alors qu’il dit aimer « Les enfants qui rient lorsque je passe ».

Don Quichotte en est tout rajeunit et Christian van Horn qui lui prête son timbre de basse riche et ample y est pour beaucoup. On aimerait être aimé par ce grand chevalier bourru, qui n’est plus du tout efflanqué, sans doute comme Dulcinée (Gaëlle Arquez) si elle n’était pas prisonnière des apparences que le monde veut lui donner.

Don Quichotte quitte son pourpoint usé et ses chausses boueuses, il évolue dans son intérieur qui se déplie comme un accordéon quand il joue, quand il aime, quand il rêve. Christian Van Horn se fait plaisir, on aime les veloutés de sa voix, qui avait déjà conquis la Bastille dans le Don Giovanni de Mozart. Il glisse sa grande carcasse avec délicatesse dans ce personange, tout entier dévoué às es rêves, à sa foi et on croit à son amitié avec Sancho Pança, qui lui clame « Viens mon grand, recommançons les belles chevauchées ». Don Quichotte est-il fou ? Que nenni, comme l’albatros, il est tellement grand qu’il peut mourir d’amour.

Don Quichotte de Jules Massenet, à l’Opéra Bastille, du 10 mai au 11 juin 2024.
Livret : Henry Cain ; Mise en scène : Damiano Michieletto ; Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca ; Lumières : Alessandro Carletti ; Chorégraphie : Thomas Wilhelm
Chef des Choeurs : Ching-Lien Wu Direction musicale : Patrick Fournilier
Distribution : La Belle Dulcinée : Gaëlle Arquez ; Don Quichotte : Christian Van Horn ; Sancho : Étienne Dupuis ; Pedro : Emy Gazeilles ; Garcias : Marine Chagnon ; Rodriguez : Samy Camps ; Juan : Nicholas Jones ; Deux serviteurs : Young-Woo Kim , Hyunsik Zee

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