Avec ILaUNA, la lune éphémère, donné à l’Atabal de Biarritz, la scène de musiques actuelles du Pays Basque, au festival Le Temps d’Aimer la Danse, les deux musiciens d’Adar et les quatre danseurs Bilaka Kolektiboa nous emmènent très loin dans un village de montagne, entouré de forêts et de brumes, où les pieds s’envolent, où les bras tournoient, où les voix d’hier et d’aujourd’hui se mêlent et où les cœurs battent à l’unisson.
On entre en parlant doucement, entre amis, on s’assied en demi-cercle, sur de légers gradins de bois ou par-terre, sur de simples coussins rouges. On attend que la lumière baisse, que la nuit devienne noire. On fait silence. On entend des sons, des glouglous, des aboiements, des cloches, tout cela se rapproche. On ne sait plus très bien où l’on est, dans quel espace temporel. Peut-être que des ancêtres très chers vont surgir de l’ombre, nous prendre la main et nous murmurer, encore, les tendres comptines de jadis. Et puis, des personnages arrivent. D’abord des musiciens, jouant de l’alboka et battant tambour, puis quatre créatures qui s’élancent dans un grand bruissement d’air en balançant autour d’eux leur costume fait de boules de tissus, comme des boules de poils, des pelotes de laine, des planètes ou peut-être même des lunes. Ils restent longtemps, esquissant des quadrilles, tout en tournoyant comme des galaxies portées par les rythmes ancestraux.
On aimerait que cette transe se prolonge encore, mais le silence revient, les danseurs se défont de leurs costumes, les mouvements amples de tout à l’heure, se resserrent. Maintenant, une silhouette féminine est seule sous la neige qui tombe. Elle en cueille les flocons mêlés aux rayons de lune, elle s’en pare, elle s’en revêt, elle s’en frappe le sein. Et l’on pense, le cœur serré, aux légendes tsiganes de ces femmes mettant au monde des enfants trop blancs et contraintes de les abandonner au sommet des montagnes où la lune, seule, serait leur berceau. Pas très loin, des silhouettes accroupies, indifférentes, mangent ou nourrissent le feu.
Plus on avance, moins on sait où l’on se trouve, ce que l’on explore au plus profond de nos émotions ancestrales, le bonheur, la détresse, la liesse, l’amour, l’amitié, le partage. On embarque pour ce long voyage. Et quand on ressort, très, très longtemps après, on ne sait plus très bien d’où l’on revient, ni où l’on est. Simplement on a accompli ensemble un très grand voyage tout au fond de notre mémoire, de notre histoire, à la rencontre de nos chers ancêtres dont les voix continuent de résonner en nous.
Maïder Martineau et Arnaud Bibonne, le duo Adar, qui signifie corne ou branche en euskara, ont, les premiers travaillé ce projet. Passionné par les instruments traditionnels, l’Alboka, la Boha, la Caremère, les accordéons, les percussions, avec leur rapport très fort à la nature, ils ont imaginé cette création collective où les parties dansées et musicales interagissent ensemble. Avec le soutien du CRMTL et le Malandain Ballet Biaritz, ils ont pris le temps d’écouter les pulsations de la terre. Zibel Damestoy, la lumineuse danseuse de Bilaka raconte : « On a trouvé une similitude entre l’éphémère et les fêtes de Gau Belza, la nuit noire en basque, des fêtes qui marquent la fin des moissons. Chez soi, on prenait des draps, des linges, on se couvrait le visage pour ne pas être reconnus, on allumait des bougies, on creusait des citrouilles, on essayait de creuser de la lumière dans la nuit. En fait, on accueillait l’endormissement de la terre, la fin des beaux jours en faisant des rites, qui continuent toujours à se faire.”
Les danseurs, Xabi et Arthur poursuivent : « la tradition, on la vit comme quelque chose d’ouvert. Quand tu nous vois, tu peux penser que c’est de la danse contemporaine, alors que beaucoup de nos pas, viennent de la danse basque. Pour autant, nous ne sommes pas les ambassadeurs de cette culture car elle n’appartient à personne. Il y a des mémoires collectives, un répertoire commun. Ce qui nous rapproche, c’est de transmettre les cultures locales avec un esprit ouvert pour que d’autres aient envie de les connaître et de les partager.
Dans la Gazette du Festival le Temps d’aimer la Danse, Rémi Rivière confirme : « Bilaka parcours le chemin à rebours pour s’enfoncer doucement dans l’obscurité, au rythme du fiévreux Gau Balta, la « nuit noire » en basque, l’ultime baroud sauvage pour apprivoiser les ténèbres, avant la plénitude de l’hiver, de la nuit, de la mort. Une tradition basque qui avait même sa citrouille illuminée avant que Halloween n’en fasse oublier les fondements. Un rite européen, sans doute, en tout cas pyrénéen puisque ce carnaval inversé trouve sens également dans la culture occidentale. »
Voilà, on a retrouvé tout cela, et bien plus encore, le vendredi 13 septembre à l’Atabal, des énergies telluriques pour passer le cap des grandes marées d’équinoxe et revêtir les habits de l’hiver. On y reviendra aussi, comme à la source, au plus sombre de l’hiver, en ce temps qu’on appelait jadis, « la soudure », lorsque Bilaka Kolektiboa reprendra son bâton de pèlerin et viendra au Théâtre de la Ville.
Du 8 & 12 février 2025 au théâtre de la Ville
Collectif Bilaka IlaUNA
Les tournées sont sur le site par ce lien
NB /les 10 et 11 février. 2025 15h et 19h
Théâtre de la Ville -Sarah Bernhardt – La Coupole
Photos : Stéphane Bellocq_Le Temps d’Aimer la Danse