Par la puissance de la musique, Sonya Yoncheva et William Christie, entourés par l’orchestre des Arts Florissants faisaient revivre, le 1er novembre 2024 à la Philharmonie de Paris, les instants de grâce fragile de la reine Marie-Antoinette. Mécène et artiste, sa destinée tragique se lit jusque dans les musiques qui lui furent dédiées par ses compositeurs préférés, Christoph Willibald von Glück, Luigi Chérubini, Nicolas Piccini. Et, par un coup de baguette magique, Sonya et Bill invitent également un autre musicien à la fête : le jeune Wolfgang Amadeus Mozart…
Quand Sonya Yoncheva paraît, quoi qu’on en dise, on éprouve toujours un frisson. Elle est une voix, une immense artiste, et elle est aussi une présence, un je ne sais quoi qui ne ressemble qu’à elle. Et quand elle a rendez-vous avec les Arts Florissants, on sait déjà que ce sera une très grande soirée. A plus forte raison quand la Diva a choisi d’exprimer les sentiments d’une des plus grandes icônes de l’histoire de France, Marie-Antoinette.
De l’épouse de Louis XVI, dernière reine de l’Ancien Régime, née le 2 novembre 1755 à Vienne en Autriche, on sait tout et rien, son visage long aux traits fins, toujours embelli par des toilettes et des coiffures extravagantes, sa chevelure, blanchie en une seule nuit, dit-on, et son port royal, ce matin du 16 octobre 1793, où la charrette de la haine populaire la mena à l’échafaud sur la place de la Révolution à Paris. Mais comment la reine de France aimait-elle, pensait-elle, espérait-elle, souffrait-elle ? Cela, elle l’a très peu écrit, hormis peut-être dans l’ultime courrier confié depuis sa prison pour être remis à ses enfants qui, les malheureux, ne le reçurent jamais.
Sonya Yoncheva a souhaité personnellement rendre hommage à cette souveraine méconnue, elle qui, dit-elle, « a marqué les arts à jamais », depuis son enfance au château de Schönbrunn jusqu’à ses dernières années à Versailles. Ainsi, relève le livret de la Philharmonie rédigé par le musicologue Denis Morrier, entre son arrivée à Paris et son départ forcé de Versailles le 6 octobre 1789, Marie-Antoinette a présidé à la création de quarante-six spectacles musicaux, 22 représentés à Versailles et 24 autres à Fontainebleau. En accord avec William Christie, elle a sélectionné les airs où elle chante. Pour les parties instrumentales, elles ont été choisies par Emmanuel Resche-Caserta, le premier violon, toujours en accord avec Bill. Ils ont imaginé une forme de concert idéal réunissant quelques œuvres des compositeurs préférés de la Reine.
En entrée, l’ouverture de l’opéra, la Finta Giardiniera de Wolfgang Amadeus Mozart rappelle la rencontre entre le compositeur et l’archiduchesse alors qu’ils n’étaient âgés que de six ans, le 13 octobre 1762. La légende raconte que Mozart, ébloui, lui lance « plus tard, je vous épouserai ! » Mais ce sera, hélas, leur seule entrevue. Car la future reine lui préfère Christoph Willibald Glück qu’elle fait appeler à Paris le 19 avril 1774. En 1762, sa Danse des Furies, extraite d’Orphée et Eurydice, avait impressionné le public viennois et, cette fois encore, les Arts Florissants, au meilleur de leur forme, subliment cette œuvre haletante. Avec une direction fluide et précise, William Christie, toujours sans baguette, sait faire sortir des trombones des graves inquiétants et entraîner les cordes, admirablement guidées par Emmanuel Resche-Caserta et Augusta McKay Lodge, dans un tourbillon infernal.
Le 01 11 2024 – A la Philharmonie de Paris – Vincent PONTET
Puissant et glaçant, l’air d’Alceste le fameux « Divinités du Styx – magistralement interprété jadis par Maria Callas- fut composé en 1767. C’est comme si, déjà, Gluck commençait d’entraîner Marie-Antoinette vers son sort funeste avec ses mots tranchants : « Divinités du Styx, ministres de la mort, je n’invoquerai point votre pitié cruelle. » Dans l’écrin des Arts Florissants, Sonya Yoncheva développe ce fatum avec deux autres airs de Luigi Chérubini et Niccolo Picccini, tirés de leurs opéras Médée et Didon, deux destins terribles de femmes sacrifiées. Là encore, les mots semblent terriblement prémonitoires. A la fin de cette première partie, Sonya Yoncheva, sublime dans des voiles rouges flamboyants, a déjà exploré toute la palette de l’affliction. La Diva connaît Versailles où elle a chanté. « Je me retrouve avec les problèmes d’une reine donc il a fallu que j’apprenne les gestes, le langage corporel, puis ceux d’une simple femme cassée par la vie, un autre jour avec ceux d’une criminelle ou d’une princesse perdue. Autant de femmes qui, finalement, se ressemblent toutes puisque dans l’opéra on parle toujours de la vie, de l’amour, de ce qui fait que nous vivons dans la société, quel que soit notre statut. » Son émotion restituée à merveille plonge le spectateur dans l’empathie.
Sonya Yoncheva revient en deuxième partie, nimbée de mousselines d’un blanc éthéré, robe de jeune fille, robe de vierge, tunique de condamnée ? Tout commence comme un jeu, presque un colin-maillard dans les bosquets de Versailles. L’orchestre des Arts Florissants s’est allégé et William Christie peut se poser, un peu comme un maître de musique qui écouterait son élève. Sonya Yoncheva offre alors deux «Romances » bien connues à la Cour de Louis XVI et composées toutes deux sur des vers de Jean-Pierre Claris de Florian. Les vers charmants de « C’est mon ami », dont la musique fut peut-être composée par Marie-Antoinette elle-même, sont dédiés à « un berger sensible et charmant »… L’illustre Plaisir d’amour » de Martini, que chacun connaît par coeur, était, dit-on, l’air préféré de la Reine, « à la belle simplicité. » Le temps s’arrête quand la soprano russe prête sa voix souveraine à ces mélodies si simple. Le maître de l’art baroque rappelle à sa cantatrice de « soigner les mots et doubler les consonnes » Mais le temps des bergeries est vite révolu. Revient Luigi Chérubini pour un air extrait de Démophoon, l’un des derniers opéras créés à Paris en 1788, et et le chevalier Glück dans prémonitoire Armide (1777), dont les sujets mythiques amènent des vers terribles et, encore une fois, divinatoires avec l’air « Ah, si la liberté me doit être ravie ! »
Entre-temps, le jeune Mozart de 22 ans avait séjourné à Paris pendant six mois en espérant, mais en vain, être reçu par la Reine à Versailles. Dans un réduit de la rue du Sentier, il composa parmi ses plus belles sonates pour piano et aussi la musique du ballet « les Petits Riens » que le maître de ballet Jean-Georges Noverre présenta le 11 juin 1778 à Marie-Antoinette, mais sans citer le nom de son véritable créateur. Pour finir, dans le si passionnant programme conçu par Sonya Yoncheva et les Arts Florissants, Mozart se pose, malgré tout, en consolateur et en ami fidèle avec l’aria tiré de la Clémence de Titus, « Non più di fiori ». Dans cet opéra de la sérénité crée à Prague en 1791, alors que Marie-Antoinette et Louis XVI avaient été arrêté le 21 juin 1791 dans leur fuite à Varenne, ce dernier air laisse entendre cette imploration bouleversante : « Si vous pouviez voir ma détresse » , et met en valeur deux instruments qui résument bien le lien entre Mozart et Marie-Antoinette : la harpe dont elle jouait fort bien et la Clarinette de Basset, chérie par Mozart. Sur la scène, ils sont tout proches de Sonya Yoncheva, dans le rêve à jamais inassouvi d’une réconciliation entre la Reine et la musicien qui aurait, peut-être, sait-on jamais, pu changer le cours de l’histoire…
« Marie-Antoinette » par Sonya Yoncheva, Les Arts florissants, William Christie. Paris, Philharmonie, le 1er novembre. Prochaines représentations :
Toulouse, Halle aux Grains, le 5 novembre ;
Compiègne, Théâtre impérial, le 7 novembre.
Pour revivre le séjour de Mozart à Paris, et ses attentes déçues d’être reçu à Versailles, lire :
Le Mystère Mozart, Frédérique Jourdaa, éditions JC Lattès, 2019
et Mozart et Paris, Natalia Smirnova, CNRS éditions, 2011