EN SCÈNE

L’Offrande de Jean-Luc Ho à Jean-Sébastien Bach

« Au service complet de Bach », tel est le titre du programme que Jean-Luc Ho, « musicien de claviers », donnait à écouter le 18 janvier 2025 en naviguant du grand orgue Grenzing de Radio-France au clavicorde à pédalier, un instrument sur lequel J.S. Bach avait coûtume de s’exercer. Une expérience musicale d’une beauté absolue.

On dit que la puissance de l’orgue est telle qu’elle peut mener à la folie, voire à la mort. Jean-Luc Ho n’emprunte pas du tout cette voie quand il s’installe au pupitre du grand orgue Grenzing de Radio-France. On distingue tout juste sa silhouette dans son costume noir, entièrement enveloppée dans la structure de bois et de métal de l’immense instrument de trente tonnes et douze mètres de haut. Lorsqu’il commence à jouer le Prélude, Trio et Fugue, pour orgue BWV 545b, on peine à imaginer qu’il tient sous ses doigts 87 jeux et 5.320 tuyaux qui peuvent emplir sept plans sonores tant il semble marcher, ou même « patiner », avec souplesse entre les deux consoles et le pédalier de 32 marches. On s’étonne presque d’une telle sobriété en ces temps où le monde tourne souvent au tonitruant ou au superlatif. Mais Jean-Luc Ho va son petit bonhomme de chemin, et l’on se prend à penser au J.S. Bach de vingt ans quittant sa charge d’Arnstadt en Thuringe pour aller rendre visite à pied au vieux maître Buxtehude à Lübeck.

Dans la canopée de l’auditorium de Radio-France, l’ancien élève de Blandine Verlet, Blandine Rannou et Olivier Beaumont poursuit avec le choral « An Wasserflüssen Babylon », BWV 653b. Il semble transparent et limpide, comme une rivière qui coule… Et, comme cela, sans en avoir l’air, Jean-Luc Ho nous emmène vers L’offrande musicale, BWV 1079. C’est là que le concert commence à basculer avec ce thème du R.I.C.E.R.C.A.R proposé par le roi Frédéric II. Ainsi que Pierre Offret, à la fois organiste et haut fonctionnaire, le rappelle dans le remarquable programme qui accompagne le concert, « sommet de maturité, comme de contrepoint, le Ricercar a 6 de l’Offrande musicale n’en demeure pas moins le souvenir d’une improvisation. » Le musicien l’égrène sans jamais l’affaiblir tout au long de ses périlleuses variations contrapuntiques et nous invite à franchir avec lui une nouvelle étape vers la connaissance de J.S. Bach. A peine a-t-il fait résonner l’espace de l’auditorium avec les Forte de la dernière exposition du « Thème Royal » qu’il quitte le Grand Orgue pour descendre s’assoir devant le petit clavicorde avec pédalier posé sur la scène.

Voir cet instrument est déjà une expérience, ainsi que l’explique Jean-Luc Ho. « Bach considérait le clavicorde comme étant le meilleur des instruments pour l’étude et pour toute musique jouée dans un lieu intime et comme étant le plus apte à exprimer ses pensées les plus raffinées ». C’est précisément ce « 3 Klaviere nebst Pedal » qu’il lèguera à son fils Johann Christian avant sa mort. »

L’écouter en est une seconde qui ne laisse personne indemne. Quand les premières notes de la Fantaisie chromatique BWV 903 s’échappent du clavicorde avec pédalier, on est un peu désorienté. Le son est si ténu, si léger, plus raffiné qu’un cymballum, plus cristallin qu’une mandoline. Il faut vraiment lui « prêter l’oreille », surtout ne pas tousser, ne pas froisser de papier, à peine respirer…

 Et puis, on s’accoutume, on goûte, on s’adapte. On appprend à écouter, vraiment. En laissant se dérouler les subtils dialogues et imitations de la Toccata dorienne BWV 528, on aime cette retenue, cette humilité, qui s’épanouissent dans le choral « Wer nun den lieben Gott lässt walten » (celui qui ne croît pas en Dieu bâtit sur du sable » dont les variations si simples en apparence requièrent une virtuosité sans faille.

« On apprend à écouter, vraiment. »

Dans ce presque silence, on peut aussi laisser un moment les architectures monumentales des grandes oeuvres chorales et imaginer l’intimité dans laquelle le maître de Köthen travaillait et composait, ressentir presque ses inspirations et ses doutes, ses respirations et ses soupirs. Il se passe encore autre chose quand Jean-Luc Ho aborde la célèbre « Chaconne » extraite de la Partita n°2 pour violon, BWV 1004, considérée par certains musicologues comme un « immense lamento ». Et Pierre Offret d’ajouter « Si cette Chaconne est bien, comme le défend Helga Thoene, le tombeau de Maria-Barbara, elle donne à entendre une douleur transcendée, à la Michel-Ange, propre à frapper les âmes autant qu’à réconfort. » Par le dénuement du clavicorde, la Chaconne fait couler les ruisseaux d’émotions baillonnées…

On remonte vers les nuées de la salle où le grand orgue Grenzig accueille à nouveau Jean-Luc Ho pour la Passacaille et thème fugué BWV 582. Les frontières sont abolies entre la terre et le ciel, entre ceux qui sont là et ceux qui ne sont pas là, comme le dit le Culte des Ancêtres. Dans la même évidence, après ce moment d’absolu, on partage le retour du choral «An Wasserflüssen Babylon». En ce 19 janvier 2025, les vers du psaume 137,  « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion » – réunissent dans la même prière les exilés, les esclaves, les déracinés et les âmes meurtries.

Pratique

Ce concert sera diffusé le 11 février à 20h sur France Musique

Pour retrouver Jean-Luc Ho en concert ou au disque

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