Tous les chemins de la Vallée Sacrée, ou presque, passent par Ollantaytambo, mais ceux qui les empruntent ne pensent toujours à prendre le temps de découvrir ce village qui constitue la dernière halte du chemin de fer avant la descente vers Agua Calientes. Pourtant, s’égarer ici quelques temps permet de mieux comprendre encore la valeur sacrée du Machu Pichu et la douceur de vivre du peuple inca. Le New-York Times l’a distingué parmi les 52 plus belles destinations de l’année 2025.

C’est sûr, quand on pense au peuple inca, on n’imagine pas forcément la douceur de vivre. On voit plutôt des conquêtes rudes, des sacrifices terribles, des pillages… tout cela étant le reflet des seuls récits des conquérants espagnols, car les Incas eux-mêmes n’ont rien écrit. Comment retrouver leur parole ? Il faut patiemment entreprendre de recoller les pièces de cette grande fresque disparue sous les siècles de pillage pour essayer d’approcher un peu quelle était la vie au Pérou avant l’arrivée des Espagnols. Ollantaytambo offre une esquisse de réponse. Au-delà de la gare où les rutilants trains de Pérurail vous transportent à petite vitesse vers le nid d’aigle du Machu Pichu, on peut prendre le temps de vivre ici, sous la protection de la forteresse et des montagnes solennelles qui l’entourent.


Une fois passé le ruisseau Patancacha, affluent de l’Urubamba, le calme revient peu à peu. Le plan de la ville Inca est demeuré intact sous les demeures coloniales, tout comme le pavage et les rigoles où l’eau coule librement. L’on dit que ses bâtiments sont unis entre eux comme les grains d’un épis de maïs. A l’écart des encombrements de la gare, le village garde sa quiétude, entre la place centrale, le marché couvert avec les délicieux Choqlo con queso (maïs bouilli au fromage), les succulents Tamales, le gâteau de voyage des Incas, enrobés dans une feuille de maïs et bouillis que l’on déguste encore tiède.


A la différence du Machu Pichu qui survole les nuages, les sites archéologiques entourent ici les habitations. Les amateurs de grimpette trouveront leur bonheur en escaladant les terrasses vers le temple du soleil ou en partant à l’assaut des entrepôts agricoles de Pinkuylluna (ou Pinkulluna), ces vastes entrepôts (colcas) agrippés à la montagne. On se demande comment et pourquoi les Incas ont hissé ces constructions sur cette colline escarpée. L’hypothèse la plus rationnelle est que l’air plus frais à cette altitude aurait assuré une meilleure conservation des denrées périssables qui étaient entreposés, comme le maïs ou le quinoa. Mais on peut aussi penser que de part sa position dominante, le site abriterait aussi un lieu dévolu à une mission de guet, ou encore, connaissant la valeur que les Incas conféraient aux denrées agricoles, un rôle cérémonial dans un site qui resterait à découvrir.

Dans ses passionnants Commentaire Royaux sur le Pérou des Incas, que les éditions Les Belles Lettres viennent de republier, Garcilaso de la Vega, fils d’un conquistador et d’une princesse inca, c’est l’Inca Viracocha qui initia la construction de cette redoutable forteresse, dont le nom signifie lieu de repos d’Ollanta. Ollanta fut, selon la légende, un commandant de guerre qui aida Pachacutec à conquérir les royaumes de la côte nord du Pérou. Il tomba amoureux d’un princesse inca mais son amour fut empêché car il n’appartenait pas à la classe royale. C’est aussi le lieu d’une cuisante défaite pour les conquistadors. En 1536, le rebelle Manco Inca Yupanqui, vaincu à Sacsayhuaman s’y était retiré. Poursuivi par Hernando Pizarro, il obtient sa retraite en les arrosant de pluies de flèches, de rochers et en inondant la plaine grâce aux canalisations prévues à cet effet. Les redoutables chevaux des conquistadors s’y embourbèrent. Pizzaro revint toutefois avec une armée quatre fois plus importante et Manco dut se replier dans son fort de Vilcabamba, en plein jungle.

Le temps, les pillages, les tremblements de terre n’ont pas effacé les fonctions des édifices toujours aisément reconnaissables. Les récits de Garcilaso de la Vega racontent que les 17 champs en terrasses, étaient ornés de parterres fleurs et de statues en or et en argent. On les gravit aujourd’hui en compagnie des lamas pour atteindre un très long mur creusé de dix niches et dont le frontispice ouvre sur la vallée, en direction de Cuzco. Cette muraille forme le vestige de ce qu’on appelle « le Temple aux Dix niches », qui contenaient certainement à l’époque les statues des divinités tutélaires incas.



Encore quelques pas et voici le « légendaire » Temple du Soleil. Chaque site inca important en comprend un. Celui-ci est clairement délimité et a la particularité d’être taillé dans un porphyre particulièrement fin et résistant. Il est constitué de six monolithes, de 3,5 à 4 mètres de hauteurs, étroitement ajustés entre eux par des pierres plus petites et entouré d’autres blocs de pierre polie qui laissent deviner la solennité ancienne du monument. Les contours de la Chacana, la Croix des Andes, symbole des liens étroits entre la terre et le ciel dans la cosmogonie andine, y sont demeurés gravés.



En redescendant, sous le regard complice des lamas, on peut ressentir un sentiment d’inachevé au vu des différents appareillages de pierre. Le temple du Soleil est d’une facture inégalable, quand les dessous sont grossiers. Les chroniques rapportent que le temple était en pleine construction lors de la conquête espagnole et ne fut donc jamais terminé. Mais la visite n’est pas finie. En revenant sur la vaste pelouse où les anciens viennent s’assoir sur les bancs en regardant les enfants qui viennent parfois jouer au football, il faut poursuivre à gauche du flanc de la montagne vers le fortin protégé par son toit de chaume, ainsi que l’étaient jadis l’ensemble des bâtiments. Là se trouve le secteur des fontaines plus paisibles et discret. On l’appelle aussi Palais de la Ñusta et on peut apprécier les bassins liturgiques et, un peu plus loin le ruisseau qui alimente l’ensemble du réseau.





Encore quelques pas le long des larges terrasses qui s’échelonnent sur le flanc de la montagne, et voici qu’apparaît la structure d’un autre temple et à côté une immense pierre qui évoque vraiment la fameuse Rocca Sagrada du Machu Pichu dont la forme épouse celle des montagnes situées dans sa perspective.

On ne saurait repartir sans faire un détour par le marché où les artisans de la vallée se retrouvent pour proposer leurs travaux. Il y a de tout et il y a surtout les tissages des femmes des communautés voisines qui méritent que l’on s’arrête pour admirer leur techniques demeurées inchangées et échanger, si l’on peut, quelques sourires ou quelques mots d’amitié avec elles.


Pratique :
Pour se rendre à Ollantaytambo depuis Cuzco, il faut compter au minimum deux heures. C’est dire qu’il est préférable de dormir sur place si l’on veut goûter aux charmes du village et à la délicieuse cuisine du restaurant Chullpi sur les rives du ruisseau Patancacha. Son chef est pétri de gentillesse et d’amour pour la cuisine et pour la culture inca. Les plats sont des petits moments de poésie.
Depuis Ollantaytambo, on peut aussi emprunter le train pour rallier Machu Picchu Pueblo en 1H30 de trajet à 30 kilomètres à l’heure, pour admirer la beauté sauvage de l’Urubamba.
Pour accéder au site de Pikulluna, c’est ouvert de 7 heures à 16h30, gratuit, tout au fond de la calle Lari avec de bonnes chaussures car les sentiers sont à pic.
Ollantaytambo est aussi le point de départ de bien de balades comme les salines de Maras et les terrasses agricoles de Moray (accessibles également depuis Urumbamba) ou encore la discrète cascade de Perolnyioc.
Pour les ruines d’Ollantaytambo, accessibles de 7 heures à 17 heures, il faut disposer du boleto turistico (à acheter à Cusco). La visite demande deux ou trois heures si l’on veut prendre le temps de monter au sommet et jusqu’au temple du Soleil et pour visiter les paisibles fontaines au pied de la montagne.
L’hôtel Sauce est une délicieuse escale. Tout proche de la plaza de Armas, il est toutefois suffisamment en retrait pour conserver son calme. Les petits déjeuners, entièrement fait maisons, sont servis dans la grande salle colorée avec sa cheminée bleue et sa collection unique de Chullos, ou Ch’ullu en quechua, le bonnet péruvien ancestral en laine d’alpaca.
A Lire pour connaître le quotidien au temps de la splendeur du peuple Inca, les Commentaires Royaux sur le Pérou des Incas par Garcilaso de la Vega, aux éditions Les Belles Lettres.




