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La Pluie, déesse des Jeux Olympiques de Paris 2024

Avec impertinence et démesure, la France a organisé pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 une cérémonie d’ouverture dantesque sur la Seine, devenue la plus grande scène du monde. Comme l’elfe de la Bastille, le metteur en scène Thomas Jolly en était le génie.

Jadis, les grandes cérémonies s’accompagnaient toujours d’un sacrifice. Dans les temples, dans les temps de crise ou de questionnement, les prêtres immolaient, par centaines ou milliers, les âmes pures de colombes, d’agneaux, de génisses, de prisonniers ou de captives, implorant les astres pour qu’ils se montrent favorables et généreux envers les pauvres humains. Thomas Jolly , Thierry Reboul et Maud Le Pladec ont-ils pensé à prier les éléments avant la soirée du vendredi 26 juillet 2024, alors qu’ils mettaient en branle tout autour de six kilomètres parisiens du fleuve Seine une formidable armada de 20.000 techniciens, artistes et figurants, des dizaines d’étoiles de la danse, de la scène et du sport ? Ils laisseront sans doute la question sans réponse, tout comme ils n’ont pas souhaité dévoiler combien de performances ont dû être écourtées, annulées ou diminuées en raison des intempéries.

Et, dans le fond, il faut remercier la pluie battante qui s’est invitée tout au long du parcours. Elle est la véritable star de cet incroyable show. Elle a fait scintiller ces moments de technologies incroyables dont la France a le secret : le métier des artisans de la Monnaie de Paris, des tailleurs de pierre de Notre-Dame, des tanneurs du célèbre Monogramme (oui, oui, même lui). Elle a fait frissonner l’accordéoniste Félicien Brut juché sur le pont d’Austerlitz, elle a joué des claquettes avec le pianiste Alexandre Kantorow qui avait eu le pressentiment d’interpréter les « Jeux d’Eau » de Maurice Ravel.

Alexandre Kantorow a joué du piano mouillé !

Elle n’a pas freiné l’envol des danseurs des Ballets de Bordeaux, de Lorraine, de Malandain Biarritz, des élèves du CNSM. Elle a fait couler le masque de Jakub Jozef Orlinski, merveilleux contre-ténor et breakdancer. Elle a porté la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel sur les toits du Grand-Palais pour une colossale Marseillaise. Elle n’a pas affaibli la musique-fleuve de Vincent Le Masne qui a représenté et porté la France en douze heures de création, d’emprunts aux grands titres iconiques, aux chansons populaires et d’émotions intenses.

Elle a bercé Juliette Armanet murmurant « Imagine » devant le piano en feu de Sofiane Pamart. Elle n’a pas perturbé les Minions, nés à l’Ecole des Gobelins, le berceau de l’Animation française, qui turbinaient sous la Seine. Elle a porté le cheval de métal de l’atelier nantais Blam, elle a hissé dans un halo opalescent le chaudron olympique portant la flamme allumée par les Guadeloupéens Marie-Jo Pérec et Teddy Riner auprès du doyen, le cycliste Charles Coste, chaîne bouleversante des sportifs français.

C’est peut-être elle, aussi, malicieuse, qui a contraint les caméras à s’attarder un peu, trop, longtemps sur la passerelle Debilly et sur la barge qui se trouvait à ses pieds. Les Provençaux auraient rêvé d’y voir fleurir une farandole légère, les Basques auraient espéré un Fandango rouge et blanc, les Bretons auraient rêvé d’en voir surgir, bannières et cornemuses au vent, un formidable bagad qui aurait bravé les forces océanes. Mais non, les 23 millions de téléspectateurs auront assisté avec amusement, et parfois incrédulité, au show fantastique d’une diversité colorée, au tableau mythologique de dieux désoeuvrés attablés, pendant que les 300.000 spectateurs massés sur les quais acclamaient le passage des nations engagées, celles à qui étaient dédiées, somme toute, ces solennités.

Elle a aussi offert aux 10.500 athlètes invités à concourir (tous n’étaient pas présents à bord) une vue exceptionnelle sur les berges de Seine, l’un des plus beaux paysages du monde. On a applaudi, acclamé, chanté avec les embarcations qui portaient les 29 athlètes de la délégation des Réfugiés en France, et aussi ceux venus d’Israël et ceux de Palestine. Il n’y avait pas de navire russe, aucun, hélas, de ces sportifs qui auraient mérité de briller sur les pistes et dans les stades. Et sur le quai Branly, la blanche Cathédrale de la Sainte-Trinité, symbole des espoirs ruinés d’une alliance entre la Russie et la France, ne s’est pas éclairée. Embarqués sur les 80 vedettes, canots des bateliers parisiens, que l’on appelaient jadis, les Nautes, les délégations ont tangué, roulé, flotté, tout en chantant et en agitant leurs drapeaux pour renouveler par leur enthousiasme la devise de Lutèce : Fluctuat, nec Mergitur – Il est battu par les flots mais ne sombre pas.

Et quand le cheval de feu, tel celui de l’Apocalypse ou tel encore la monture infernale de Lucifer dans la Damnation de Faust, a atterri au pied du Trocadéro, il s’en est fallu de peu que le génie mystérieux, Desmond Miles d’Assassin’s Creed ou Fantôme échappé de l’Opéra, ne marche sur l’ombre de la Grande Dame projetée en miroir. A nouveau, la pluie, toujours la pluie, nous a sauvés. Elle a fait briller de mille feux la tour Eiffel et sa merveilleuse vestale Céline Dion, irradiée de lumière, qui prophétisait « Dieu réunit ceux qui s’aiment ». Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne. Les Jeux sont ouverts. L’eau a été la véritable Déesse de cette nuit. Elle a dicté son temps, sa loi, elle a poussé les femmes et les hommes dans leurs derniers retranchements, comme un coureur à l’assaut de la montagne, comme un nageur dans le flot, comme un surfeur dans le rouleau de la vague, comme un marcheur humble, priant les maîtres du temps de se montrer cléments.

La chevauchée fantastique de la création des ateliers BLAM

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