EXPO VIETNAM

Marc Riboud au Vietnam : la Paix pour objectif

La jeune fille à la fleur, 21 octobre 1967, Washington

Alors que la France et le monde s’apprêtent à célébrer avec la même silencieuse indifférence, les cinquante ans de la fin de la guerre au Viêtnam, le musée Guimet présente une émouvante sélection de photographies du Vietnam prises par Marc Riboud entre 1966 et 1976. En ces années où la France réalisait qu’elle avait perdu l’Indochine, mais qu’elle n’avait pas sauvé le Vietnam, le reporter de l’agence Magnum porte un regard singulier sur la vie quotidienne des femmes, des hommes, des enfants, bouleversés, mais résistants. Autant de témoignages sensibles portés par l’image iconique de cette photo prise en 1967 à Washington pendant les manifestations contre la guerre : la jeune fille à la fleur, une ode à la paix et à la fragilité.

Sortie d’école dans un village de la Côte, 1968, Nord Vietnam

C’était en 1966. La France se retirait de l’Otan. Georges Pompidou était premier ministre, de Funès et Bourville tournaient la Grande Vadrouille, Un Homme et Une Femme de CLaude Lellouch décrochait la Palme d’or à Cannes, Sophie Marceau naissait. A Moscou, le général de Gaulle signait un accord de coopération scientifique pour l’exploration pacifique de l’espace avec l’URSS. Quelques mois plus tard, à Pnomh Penh, il dénonçait la politique des Etats-Unis au Vietnam et les invitait à retirer leurs troupes. Et Marc Riboud faisait ses premiers par dans la guerre du Vietnam. Le reporter pour l’agence Magnum – fondée en 1947 par Robert Capa, mort en 1954 en Indochine – n’était pas photographe de guerre. Né le 24 juin 1923, près de Lyon dans une famille bourgeoise, il avait pour frères Antoine, le futur patron de Danone et Jean, le PDG de Schlumberger, mais il avait pris le virus de la photo, en manipulant le Vest Pocket Kodak que son père utilisait dans les tranchées. Tout le monde, ou presque, connaît sans pouvoir le citer souvent, sa photo de « Zazou, le peintre de la tour Eiffel », saisie en équilibre en 1953 alors qu’il avait 20 ans.

En 1966, il embarquait à bord du porte-avion américain USS Enterprise pour couvrir l’offensive « Rolling Thunder » qui devait convrir le Nord du Vietnam d’une tempête de bombardements ininterrompus. L’article « A bord d’un porte-avion nucléaire avec les pilotes qui bombardent le Vietnam du Nord » qu’il publiait en première page du Monde le 7 avril 1967 ne laissait pas beaucoup de place au doute. Comme dans la chanson de Graeme Allwright, il écrivait :  » Le Capitaine a très vite évoqué le problème brulant : on parle beaucoup des effets de nos bombardements sur les populations civiles. Nous recevons des consignes formelles de ne pas viser les populations… Pourquoi jetterions-nous des bombes sur des écoles, des hôpitaux, des habitations ? Ce seraient des bombes perdues, inefficaces. »

Enfants équipés d’épais gilets de paille pour se protéger des explosions, province de Thanh Hoa

Bien sûr, ces propos avaient semé dans l’esprit du journaliste l’idée d’aller de ses yeux voir. Pour commencer, ce fut devant le Pentagone, près de Washington, où la jeunesse américaine protestait contre les enrôlements pour la guerre. A la tombée de la nuit, alors que les milliers de manifestants commencent à se disperser, il aperçoit une jeune fille qui tend une fleur aux soldats. Comme raconte son épouse, Catherine, « Marc traînait encore tout près de là, profitant des dernières minutes de jour, avec deux films, encore seulement deux rouleaux de film, dans sa poche. ll a vu cette jeune fille entrer dans le viseur de son appareil, ingénue et décidée, et il a appuyé sur le bouton de son Leica et finit ses deux pellicules. » Cette photo, devenue symbole de l’appel à la paix, fera le tour du monde. Et Jan Rose Kasmir, militante pour paix, âgée de 17 ans ce jour là, entrera dans l’histoire.

La planche contact de la Jeune Fille à la Fleur

« Ancien résistant, homme de gauche, Marc désapprouvait lui aussi cette guerre. Il trouvait injuste ce déploiement de forces américaines sur ce Vietnam pauvre et admirait ces Vietnamiens qui se battaient pour leur indépendance, raconte encore Catherine Riboud. Il a toujours été auprès des faibles qui résistaient. » Cette photographie a aussi joué un autre rôle dans la vie du photographe. « C’est grâce à elle qu’il a été l’un des rares journalistes étrangers à pouvoir aller au Vietnam du Nord. En 1968, il se rend d’abord au Sud, après la bataille du Têt, et rapporte des images de la tragédie de Hué, « ville assassinée », « le Guernica du Vietnam », comme il l’écrit dès son retour dans un article du Monde. Mais il veut absolument aller côté Nord et envoie un dossier sur son travail à Pham Van Dông, le Premier ministre, dans lequel il joint la photographie de la jeune fille à la fleur. C’est ainsi qu’en octobre 1968 il reçoit enfin son visa et se rend au Nord pour plusieurs semaines.

« Pour faire de bonnes photos, il faut avoir de bons souliers. »

A Hanoi, Haiphong ou Phat Diem, il photographie des jours durant la vie bouleversée des civils quand il obtient, d’abord un entretien avec Pham van Dong (publié dans Le Monde du 8 janvier 1969) et, quelques jours plus tard, avec Ho Chi Minh et son Premier ministre. Les deux hommes, attentifs à l’évolution de l’opinion américaine et tous deux conscients de son importance pour l’issue de la guerre, avaient très bien compris l’importance de la « jeune fille à la fleur » et c’est grâce à elle qu’ils recevaient Marc Riboud. La photographie des deux hommes assis dans le jardin de l’ancien palais du gouverneur français a fait la couverture de Look quelques jours plus tard et sera reprise un peu partout dans le monde. »

Marc Riboud a ainsi carte blanche pour témoigner sur le terrain des ravages de l’opération « Rolling Thunder » dont il a saisi les prémices. Du Nord au Sud, il voit les routes, les ponts, les maisons incendiés, détruits et la population qui, inlassablement, multiplie les astuces pour reconstruire, résister, se protéger. Il capte le regard des fillettes qui « réclament de l’argent et des armes », les files de vélos qui alimentent les partisans, la force tranquille des femmes et, parfois, leur désespoir, quand elles perdent au combat un être cher. Par l’image, Riboud traduit ce que le président Hô Chi Minh lui a confié en cette fin d’année 1968, peu avant de mourir : « ces centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont souffert dans leur chair, les milliers d’invalides qui resteront infirmes. » Tel est le prix exorbitant à payer pour cette guerre fratricide.

A l’annonce de l’arrêt de l’opération « Rolling Thunder  » en 1968

Halluciné, il découvre aussi les ravages perpétrés dans la ville d’Huê, l’ancienne capitale impériale, qui fut le théâtre du siège de l’offensive du Têt menée le 30 janvier 1968 par l’armée populaire vietnamienne et le Font de libération du Sud-Vietnam (Viêt-Cong). La Citadelle est conquise par les Communistes qui résistent près d’un mois aux troupes américaines et du Sud, au prix de centaines de milliers de morts et de la destruction de 40% de la ville. Dans un autre article publié dans Le Monde, Marc Riboud la décrit comme la « Guernica du Viêtnam ». Ses photos d’un raffinement surréaliste font échos aux portraits de soldats en état de choc pris par son confrère britannique Don Mc Cullin. Mais jamais il ne capte les chairs torturées ou massacrées. Avec une grande pudeur et sensibilité, il sait capter dans un geste, dans un regard, la colère, l’effroi, la lassitude, et parfois l’espérance.

Et c’est encore avec la même fidélité et sensibilité qu’il retourne au Vietnam en 1975, après la chute de Saïgon et la défaite du Sud-Vientam pour témoigner de l’état de ce pays exsangue, des familles décimées, des populations déplacées, des millions de bords et de la tragédie à venir des Boat-People. Ainsi qu’il le confiait un jour à l’antenne de France Culture : « pour faire de bonnes photos, il faut surtout avoir de bons souliers. Quand on voit un pays, quand on rencontre des gens, aimer les lieux, aimer les gens, aide beaucoup à comprendre. Je préfère les gens qui aiment que ceux qui prétendent être des spécialistes et être super objectifs. (…) Les grands spécialistes, les grands experts, est-ce qu’ils comprennent vraiment ? »

Père et son fils dans la nouvelle zone économique Nord de Saïgon en 1976

Pratique

Marc Riboud, photographies du Vietnam 1966-1976. Du 5 mars au 12 mai 2025, au musée Guimet , commissariat Lorraine Durret, directrice de l’association Les amis de Marc Riboud et Zoé Barthélémy.

L’exposition présente certaines photos en très grand format et offre une présentation didactique qui permet de revivre et de comprendre ces dernières années de guerre au Vietnam, l’intensité des combats et la résistance du peuple vietnamien.

Marc Riboud est décédé en 2016, à l’âge de 93 ans, mais son épouse a fait donation de la totalité de son fonds, soit 50.000 négatifs, diapositives et épreuves sur papier au Musée national des Arts asiatiques-Guimet.

Marc Riboud dans une église à Huê (anonyme, photo prise avec ses appareils)

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