Que faire en ces jours de couvre-feu alors que les nuits sont longues, froides et soucieuses ? Comment voyager quand les frontières sont fermées ? Comment explorer des terres inconnues, faire des rencontres et des découvertes insensées ? Comment imaginer Paris grouillant, dansant, chantant ? Comment larguer les amarres de cargos chargés à ras bord et de paquebots aux cheminées crachantes ? Comment imaginer un avenir, meilleur peut-être ? Sans hésiter en lisant « Peste et Choléra » de Patrick Deville.
Rien à fuir, bien au contraire, dans ce récit qui narre, de façon à peine romancée, l’épopée merveilleuse d’Alexandre Yersin, ce héros trop peu célébré en France et vénéré au Vietnam, qu’on appelait alors l’Indochine. C’était au temps où la France érigeait en deux ans la Tour Eiffel. C’était au temps où les hommes, sûr, d’avoir tout découvert des continents, se penchaient sur l’infiniment petit. Paris était alors la « capitale mondiale de la médecine et en son centre, le tout nouvel institut Pasteur en briques rouges, le phare du progrès…
« Paris, capitale mondiale de la médecine »
C’est là qu’Alexandre Yersin, né en Suisse, étudiant en médecine, entre Berlin et Paris, « choisira, raconte Patrick Deville, ce qu’il y a de nouveau et d’absolument moderne. Les héros s’appellent Louis Pasteur Albert et Gaston Calmette, Emile Roux, Camille Guérin… Ils planchent jour et nuit, « vaccinent à tour de bras » et accueillant dans leurs labos des animaux « qui n’en mènent pas large », anonymes et éphémères des avancées de la science.
En quatre-vingts ans d’une existence totalement déconfinée, Yersin traverse les continents, explore l’Asie et l’ancien royaume de Cham Pa, se passionne pour les automobiles, pour l’hévéa et le quinquina, élève poules, chevaux et boeufs pour ses expériences,découvre le bacille de la peste, qui porte toujours son nom Yersinia pestis, cartographie la région de Nha Trang, où il fonde Dà Lat, la ville de l’éternel printemps. Considéré là-bas comme un boudha vivant, il ouvre l’école de médecine de Hanoï, produit de la quinine qui soigne le paludisme et y repose toujours sur la colline où on le vénère.
Prix Fémina 2012, le roman de Patrick Deville laisse suffisamment d’ombre à ce destin de comète pour nous ouvrir la porte des rêves : « Comme nous tous, Yersin cherche le bonheur. Sauf que lui, il le trouve ».
Peste &Cholera de Patrick Deville, 255 pages, Point-Le Seuil, Prix Fémina 2012