CONFIDENCES EN SCÈNE VIOLON

Nemanja Radulovic invente un monde de musique et de joie

Avec son talent inné, sa virtuosité inouïe et son allure de seigneur des Balkans, le musicien franco-serbe nous emmène en voyage à travers les plus beaux airs populaires à la rencontre des légendes du violon.

photos Sever Solak

Il y a bien longtemps, un matin d’été, Nemanja Radulovic était l’invité de la Matinale de France Musique que j’animais alors. Nous avions rendez-vous, par téléphone, car les musiciens sont rarement lève-tôt. Et voici que Nemanja, 25 ans, une Victoire de la Musique et des croissants en poche, avait débarqué dans le studio dans une grande bourrasque de fraîcheur et de gentillesse pour parler des Trilles du diable, des Quatre Saisons et de tous ses projets déjà bouillonnants.

Les années ont passé, Nemanja est toujours le prince du violon, un prince généreux, turbulent, flamboyant, comme ce pays où il a vu le jour et à qui il ressemble tant. Ces montagnes noires où les nuages se mirent dans les eaux des lacs et du Danube. De la Serbie, où il est né à Nils en 1985, beaucoup sont partis pour faire carrière sur les terrains de sport, comme son ami Novak Djokovic. Lui a commencé le violon, à l’âge de 7 ans, simplement car ses parents, informaticiens et radiologue l’entendant chanter sans cesse, l’avaient emmené à l’école de musique. Guidé son maître Dejan Mihailovic, à 11 ans, il remporte le prix Octobre de la ville de Belgrade et part ainsi étudier aux côtés du légendaire Joshua Epstein à Sarrebrück (Allemagne). En 1999, la Guerre de Yougoslavie et les bombardements sur son pays obligent sa famille à fuir. Ils trouvent asile en France et un refuge musical au Conservatoire National de Musique de Paris. Dans la classe de Patrice Fontanarosa, le jeune Nemanja retrouve le goût du bonheur, sans jamais effacer le souvenir de cette terre à laquelle il a été arrachée. A Belgrade, capitale de la Serbie, il jouait Vivaldi sur la grand Place. A Paris, il prépare ses concours en répétant dans le métro.

Comme Mozart, son modèle, Nemanja parle peu de ses peines. Il préfère jouer ce qui donne de la joie. En 2005, puis en 2014, il est sacré » Révélation » aux Victoires de la Musique et son premier album, Carnets de voyages, avec son ensemble, les Trilles du Diable, est un hommage à à la musique des Balkans, comme à sa mère et à sa soeur, qui viennent de mourir, emportées la même année par un cancer. « Là-bas, les émotions extrêmes cohabitent. Les notes viennent toujours des situations difficiles ou des moments extrêmement heureux. La danse, la fête surgissent malgré tout. »

Depuis que le succès a toqué à sa porte, il enchaîne les concerts, sans jamais se laisser emprisonner par le succès. Il cultive sa liberté comme le plus précieux des trésors, laisse flotter au vent ses cheveux noirs et bouclés comme ceux d’un cheval sauvage. De Bach à Paganini, en passant par Beethoven et Ravel, ses opus allient virtuosité ébouriffante et émotion à fleur de peau. En 2016, il imagine ses « 5 saisons », un album bleu comme les rêves où il offre une version flamboyante du célébrissime chef-d’œuvre d’Antonio Vivaldi associée une création de son ami Aleksander Sedlar en hommage aux victimes du tsunami et de la catastrophe de Fukushima. « Quand je pense aux 4 saisons, dit-il, mes souvenirs de Serbie reviennent d’abord, l’hiver très froid. Il faut jouer avec le cœur pour essayer de revenir vers l’enfance. » En janvier 2020, il s’offre une expérience « Unique », un concert inédit enregistré en secret au cœur des alignements mégalithiques de Carnac. Là, formant cercle avec son ensemble Double Sens, ses musiques suspendent le temps jusqu’à ce que le soleil se transforme en pluie d’or.

La même magie, et le même instinct de survie, l’ont animé en 2020 quand la planète s’est retrouvée confinée. « Tout s’était ralenti, j’avais envie de bouger, de danser à la maison, raconte-t-il. Avec Aleksander Sedlar et les quinze membres de l’orchestre Double Sens, dont la chanteuse et violoniste Ksenija Milosevic, ils ont commencé à réunir toutes les musiques qu’ils aimaient. « La virtuosité n’est là que pour servir la musique. Les morceaux qui m’ont fait sentir le plus vivant ont été ceux de Mozart et les musiques du monde. Je respecte toutes les musiques du moment qu’elles sont faites avec le coeur. On peut être autant ému par une chanson de trois minutes que par une symphonie de Beethoven que j’adore. En rendant hommage au serbe Aleksander Sisic, au franco-italien Tony Murena, au québecois Jean Carignan, aux Nuits de Moscou du russe Vasily Solovyov-Sedoi, à la bosniaque Jadranka Stokakovic, je voulais tisser à nouveau des liens entre les pays et abolir les frontières.»

Le mardi 18 octobre, pour le début de la grande tournée qui va le mener de Salzbourg à New-York, en passant par Edimbourg et Berlin, il était à Paris, le soir de son anniversaire. Plein à craquer, le magnifique théâtre des Champs-Elysées prenait des allures de cabaret tzigane. Comme dans les tavernes où l’on chante et danse jusqu’au bout de la nuit, la salle debout, enthousiaste de la première à la dernière note, retenait son souffle, et ses larmes, dans l’enchaînement délicat entre les Nuits de Moscou et Sto Te Nema, chant de deuil, puis claquait des doigts, tapait des mains dans le tournoiement des danses venues des quatre coins du monde. La vie merveilleuse, la vie dans toute son éphémère beauté vibrait sous les doigts et l’archet de Nemanja, le magicien.

Les racines voyageuses d’un album tissé de générosité.

Toute la surprise de Roots (racines) cet album, ode au mouvement, c’est de montrer que les racines aussi savent voyager. Comme la Kosava, ce vent frais qui souffle sur les Balkans, il tournoie et s’enroule autour de ceux qui l’écoutent et le jouent, les bouscule gentiment pour les emmener un peu plus loin. Sa musique emplie de joie, de malice, de virtuosité et d’humour toque à votre porte avec l’hommage à Aleksandar Sisic, un grand violoniste serbe que Nemajna admirait. Nous voici tous en route, derrière le violon magique… Dans Roots, son archet et ses pizzicati -pincement de cordes avec les doigts- voltigent de surprise en bonheur musical comme des elfes ou des lucioles dans Takeda Lullaby. La route est longue, et le chemin ne ménage pas nos émotions, joyeux, et tendre, parfois scintillant de larmes, toujours  semé de roses. Des Balkans (Serbie, Macédoine, Moldavie) à la Chine, en passant par le Brésil, Israël, l’Irlande, la France, la Russie, Roots nous offre, plutôt que tout ce qui nous sépare, tout ce qui nous réunit.

Roots, 17 titres chez Warner Classic,

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