1955, Strophes pour se souvenir, c’est ainsi que Louis Aragon rendait hommage à Missak Manouchian, ouvrier, poète, arménien et militant communiste, fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien par l’armée Nazi. 80 ans plus tard, le 21 février 2024, il entre au Panthéon, aux côtés de son épouse, Mélinée Manouchian et de ses 23 compagnons.
C’était le temps des résistants, des survivants, des combattants. C’était la guerre où chaque geste prenait sens de vie ou de mort. Missak Manouchian, né le 1ᵉʳ septembre 1906 à Adıyaman en Arménie, avait vu son père tomber les armes à la main face aux soldats ottomans avant que sa mère ne meure de faim. A l’orphelinat, il se passionne pour la Révolution Française, pour Victor Hugo et pour les droits de l’homme. A son arrivée en France, il a 19 ans. Imprégné de l’idéal francophone, il travaille comme ouvrier tourneur à l’usine Citroen du quai de Javel, fréquente les cercles intellectuels arméniens, suit des cours de littérature et d’histoire à la Sorbonne, fonde les revues l’Effort, puis Culture. Il traduit Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine en arménien et les poètes arméniens en français. Il écrit lui-même :
« Je suis encore un adolescent ivre. Le désir est infini et semblable à cette mer illimitée, inexplicable comme le mystère insondable des ténèbres. Je désire de la lumière, de la sagesse, de l’art et du vin. Et arracher dans le grand combat de la vie de précieux lauriers. » Carnets de Missak Manouchian.
Fin 1934, lors d’un gala du comité de secours de l’Aménie, il rencontre Mélinée Soukémian (1913-1989), militante communiste et proche de la famille Aznavourian. Ils se marient et adhèrent au Parti Communiste en 1934. « S’élever et élever les autres », c’est son idéal et c’est pourquoi il décide de se consacrer à la lutte sociale et au combat contre le fascisme. En 1939, il s’engage dans l’armée française et demande plusieurs fois à être naturalisé, en vain. En 1941, il devient responsable de la section arménienne à Paris de la MOI (Main d’œuvre Immigrée) qui édite des journaux et aide les combattants de la lutte armée. « C’était un homme qui se donne à corps perdu, je savais que je prenais un homme qui allait finir dans la tragédie. » dira de lui, Mélinée. En février 1943, il rallie les FTP-MOI qui veulent libérer leur patrie d’accueil. Ils entrent dans la lutte armée. Pris en filature par la police française à partir de janvier, les hommes de son réseau tombent le 16 novembre 1943.
« Vous avez hérité de la nationalité française, nous l’avons méritée. »
Emprisonnés, questionnés, torturés, ils sont condamnés à mort le 18 février 1944 et fusillés le 21 février au mont Valérien.
Quelques heures avant sa mort, il écrit ces mots empreints de grandeur d’âme et d’amour à Mélinée. La lettre ne lui parviendra que bien plus tard :
» Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée […] Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et
bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la
Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous…
Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je
dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort, ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu.
Ton ami, ton camarade, ton mari.
Michel Manouchian
Cette exécution est l’occasion d’une campagne de propagande avec l’affiche rouge qui couvre les murs de Paris et désigne « l’armée du crime ». Mais ce qui en restera, 80 ans après, à l’heure où la France les accueille au Panthéon, ce sont les mots de Louis Aragon tissés en 1955 sur la musique de Jean Ferrat :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent.
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps.
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant.
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir.
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ? »
Les 23 de Manouchian, Français de résistance et d’espérance
Celestino Alfonso (27 ans, espagnol), Spartaco Fontanot (21 ans, italien), Marcel Rajman, Szlama Grzywacz, Wolf Wasjbrot,Maurice Fingercweig (19 ans, tous juifs polonais), Thomas Elek, Robert Witchitz, Joseph Boczor(19 ans, tous juifs hongrois)Georges Cloarec(19 ans, français,Jonas Geduldig(26 ans, juif polonais),Emeric Glasz(41 ans, hongrois)Lajb (Léon) Goldberg(20 ans, juif polonais)Stanislas Kubacki (36 ans, communiste polonais) ,Cesare Luccarini, (22 ans, italien), Armenak Arpen Manoukian(44 ans, communiste arménien),Roger Rouxel(19 ans, français) Antoine Salvadori(24 ans, Italien),Salomon Schapiro (34 ans, juif polonais, Amedeo Usseglio, 33 ans, communiste italien,Rino Della Negra, 19 ans, Italien), Olga Bancic (32 ans, juive roumaine)
Et cette autre version, magnifique, avec la voix de Manu Lann Huel et le piano parlant de Didier Squiban