EN SCÈNE Musique

Le Violon de Rameau par Théotime et William réenchanté

GAZEAU_JULIEN

Réincarné dans le merveilleux duo formé par Théotime Langlois de Swarte et William Christie, le compositeur révèle son visage le plus intime et le plus virtuose. Premier concert d’une longue tournée à prévoir dans le cadre de la 13e édition Festival dans les Jardins de William Christie avec le soutien du Département de Vendée.

C’était le soir du 29 août dans la petite église blanche et or de Saint-Juire-Champgillon. On se serrait sur les bancs en respirant la douceur des lys. William Christie et Théotime Langlois de Swarte sont sortis de la sacristie, un peu comme un père et son fils vous convieraient à une fête de famille. Sans tarder, ils ont commencé à jouer ce programme en forme de promesse et d’inconnu : le Violon de Rameau. D’abord, les arpèges au clavecin, en lointain souvenir du répertoire des jeunes pianistes, le Tambourin, l’Entretien des Muses. Et, tout de suite, quelques airs tirés de Castor et Pollux, composé en 1737 pour l’Académie Royale de Musique. Le violon égrenait seul les thèmes qui remplissent d’habitude dans les grandes salles d’opéra. L’archet sensible de Théotime réveillait peu à peu les harmonies chatoyantes de l’orchestre. On commençait à se laisser bercer… Et puis, soudain William Christie a levé ses mains du clavier et tout s’est arrêté.

« Non, a-t-il lancé, ce n’est pas possible ».

Le fa dièse était faux
Le Fa dièse était faux !

Le fondateur des Arts Florissants est coutumier de ces exigences. Je l’ai entendu déjà, s’interrompre entre le Largo et le Grave des Sept dernières paroles du Christ en Croix de Joseph Haydn pour demander au public de la Philharmonie s’il pouvait s’abstenir de tousser. Mais cette fois, il n’était pas question de souffle, mais de clef… Car le fa dièse était faux. Il fallut courir pour rattraper l’accordeur et les musiciens mirent ce temps à profit pour raconter ce qui les avait réunis autour de ce projet.

« Un programme en forme de promesse et d’inconnu ».

« Au commencement, racontait Théotime, il y a eu un portrait : celui de Jean-Philippe Rameau attribué à Joseph Aved, où le musicien, grand théoricien de la musique connu pour ses œuvres lyriques comme pour ses pièces de clavecin, figure non pas près d’un clavier mais avec un violon. L’image saisit l’instant, on voit le musicien prêt à pincer la corde tandis que le premier doigt de sa main droite pose un si, et nous invite à écouter cette note énigmatique. De cette observation est née l’envie de créer un univers musical à partir ce portrait, d’entrer dans la toile pour faire entendre la relation que Jean-Philippe Rameau a entretenu toute sa vie avec le violon. Depuis sa formation musicale, en passant par sa participation supposée à une troupe de musiciens itinérants dans le sud de la France en tant que violoniste jusqu’à la consécration d’Hippolyte et Aricie, ce programme en forme d’enquête rassemble des transcriptions d’airs d’opéra, des extraits de suites de danses ainsi que des sonates de violonistes virtuoses et de compositeurs ayant côtoyé Rameau. »

Pendant qu’on s’activait près de l’autel, William prenait le relais :

« Dans l’Orchestre de l’Opéra, Rameau côtoyait d’illustres familles de violonistes, les Aubert père et fils, Exaudet, Dauvergne qui composaient, eux aussi, des sonates pour leur instrument. En les écoutant, vous verrez que le niveau violonistique de l’époque était particulièrement élevé, Nous avons eu envie de vous raconter en rassemblant des pièces pour la plupart inédites et méconnues autour de la musique de Rameau ramenée à la simplicité de nos deux instruments : le violon et le clavecin. Comment transformer le complexe en une matière plus simple ? ou, autrement dit : comment ajuster les grands airs d’opéra de Handel ou de Mozart afin qu’ils puissent être joués chez soi, au temps où la musique enregistrée n’existait pas ? Dans la musique occidentale, cette question a donné lieu à une quantité de transcriptions où une nécessaire simplification va de pair avec la recherche de l’essentiel, pour rendre la grande musique accessible. Et voilà ce que nous souhaitons vous faire découvrir de Rameau, comment sa musique, si riche, si épanouie dans les salles d’opéra pouvait aussi se donner à entendre et à aimer dans les petits cercles des salons »

Voilà, quinze minutes avaient passé et nous préparions à reprendre le fil du concert, à continuer de dérouler les œuvres de Toussaint Bordet (1710-1775), de Jacques Aubert (1689-1753), de Charles Antoine Branche (1722-1779), complément naturel de Jean-Philippe Rameau (rires), mais aussi de Jean-Baptiste dde Cupis de Camargo (1711-1788), tous ces noms délicieusement précieux, là où nous en étions restés avant le fâcheux incident du fa dièse. Peut-être aussi redoutions-nous que la fatigue des interprètes se fasse ressentir à cette heure déjà avancée de la soirée. Mais non, William Christie ne l’entendait pas ainsi.

« La construction de ce programme nous a demandé beaucoup de soin. Théotime est allé chercher les plus belles transcriptions pour violon des grandes tragédies lyriques de Rameau et nous l’avons imaginé comme un itinéraire musical qui démarrait avec la forme d’improvisation où vous m’avez entendu tout à l’heure au clavecin jusqu’aux notes de la fin. Voilà pourquoi, si vous le voulez bien, nous allons reprendre au début. »

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Et, le cœur empli d’enthousiasme, sans plus nous soucier de l’heure et du temps, nous avons replongé avec ces deux merveilleux musiciens dans ce voyage à remonter le temps. La splendeur du Largo de la tant oubliée sonate opus 1 n4 d’André joseph Exaudet (1710-1762) n’avait rien à envier au Rondeau tendre tiré de Dardanus ou à la Chaconne des Indes Galantes. Portés par leur belle amitié musicale, Théotime et William étaient les infatigables passeurs de cette navigation homérique. Et quand on pensait approcher du port, quand la salle, debout, applaudissait les artistes, à tout rompre, l’on repartait encore pour quelques Airs et Canons – pas moins de quatre bis – et l’on se sentait prêt à danser jusqu’au bout de la nuit. Comme le premier concert, Générations qui rendait hommage à Jean-Baptiste Sénaillé, le Violon de Rameau fera aussi l’objet d’un enregistrement et d’une tournée où il sera précieux de retrouver cette merveilleuse harmonie.

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