Balzac honorait tant les femmes. De la Cousine Bette à Splendeurs et Misères des courtisanes, son œuvre s’interroge sur les destinées du sexe que l’on disait alors faible. A Paris, dans sa maison de Passy, d’où l’on embrasse la Seine, l’exposition « Illusions (conjuguales) perdues rend hommage à sa lucidité pionnière, tout en mettant à l’honneur un de ses ami, dessinateur et caricaturiste de talent, Paul Gavarni.
La nécessité de se cacher, de taire, de cultiver le secret était-elle le propre de toutes les âmes sensibles, et féminines, pendant la poussée triomphale du XIXe siècle où l’Occident, et la France, poussaient partout leurs cocoricos ? Sans nul doute, c’était le quotidien des artistes, et des femmes, alors considérées comme une forme de sous-espèce sociale, dont la seule valeur, à de rares et précieuses exceptions, telles la mathématicienne Sophie Germain, l’écrivain George Sand, la militante Louise Michel, la peintre Berthe Morisot, des guerrières, des pionnières. Cette injustice, des hommes la pressentaient bien sûr, et en témoignaient, et Honoré de Balzac, dans son immense fresque de la Comédie Humaine, décrivait ces mœurs qui ne lui semblaient pas couler de source.
Balzac a beaucoup de choses à nous dire. La trace de ses pas et de ses doigts est toujours bien vivante dans la petite maison où il a vécu pendant sept ans, entre 1840 et 1847, sur la colline de Passy et aussi, en presqu’île de Guérande où il vécut, au printemps 1830, une idylle avec sa maîtresse Laure de Berny. Certes, rappellent les Yves Gagneux et Céline Duverne, les commissaires de l’exposition, la Comédie humaine propose une classification des espèces sociales, comparable aux travaux menés sur les végétaux et les animaux au siècle précédent. Les femmes relèveraient de trois catégories : celles « comme il faut », épouses ou jeunes filles à marier ; celles « comme il en faut », à savoir des jeunes femmes qu’un statut précaire contraint à rechercher un protecteur (actrices, modistes, bouquetières…) ou les prostituées ; enfin celles qui, au regard des canons de l’époque, ne peuvent susciter de passions parce que jugées trop âgées ou usées par leur travail (veuves, portières, garde-malades…). Quant aux hommes, ceux qui intéressent, très majoritairement, sont les jeunes célibataires qui, selon les schémas de l’époque, recherchent une maîtresse, ou un bon parti, qui lui ouvre les portes de la réussite. »
Rien de rêvé, de tendre, de fantaisiste, donc dans le mariage, mais une quête sans saveur d’une forme de réussite, de représentation, un viatique en bonne société, mais une source majeure d’ennui. Et Balzac, notent les commissaires, « Balzac a dénoncé ces dissensions avec une lucidité d’autant plus sidérante qu’en son temps, la plupart de ces sujets étaient entièrement occultés.»
Dès 1829, sa Physiologie du mariage « par un jeune célibataire », inspiré par les confidences de Laure de Berny et de la duchesse d’Abrantès, ses inspiratrices, ses amantes et ses aînées, ainsi que des salons des Merveilleuses, Fortunée Hamelin et Sophie Gay, qu’il fréquente, prend d’emblée le parti des femmes et défend le principe de l’égalité des sexes et les inégalités de la loi. Il faut lire, et relire, les phrases sobrement peintes sur les murs colorés de la toute petite maison : « Nous autres, jeunes filles françaises, nous sommes livrées par nos familles, comme des marchandises » (Modeste Mignon), « Ne commencez jamais le mariage par un viol » (Physiologie du mariage) ; « Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par nature. Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale » (la Femme de trente ans) ; « le mariage doit incessamment combattre un monstre qui dévore tout : l’habitude ».
Les petites pièces où Honoré vivait, travaillait et se cachait, dit-on de ses créanciers en s’échappant par la sortie basse de sa maison, rue Berton, se prêtent à merveille à la découverte des textes et des dessins qui les accompagnent. Gagneux et Céline Verne ont eu l’heureuse idée de présenter les dessins truculents des contemporains et amis de Balzac : le bien connu Honoré Daumier, l’aquafortiste Emile-Charles Wattier et Paul Gavarni, petite révélation de la visite. Les habitués de la rue de Passy, toute proche, ont sûrement emprunté sans le connaître, la rue qui porte son nom, se demandant si elle était un hommage au cirque pyrénéen avec un « e » en moins.
Fils d’un agriculteur, Sulpice-Guillaume Chevallier avait adopté ce pseudonyme de Paul Gavarni au retour d’un séjour ddans ces montagnes. Et ses dessins paraissaient avec succès dans le temps où Balzac écrivait, dans les revues satiriques, le Charivari, l’Artiste, l’Illustration et même dans le Journal des dames et des modes. Son trait met en évidence, avec humour et pertinence, le déséquilibre des mœurs qu’entraînent les mariages de l’époque, construits sur l’incompatibilité des mœurs, l’intérêt et l’argent. Tous deux, Paul et Honoré, disent à leur manière que l’amour pur n’est pas toujours là où l’on croît.
Lui qui, pourtant, idolâtrait l’amour sous sa forme la plus pure, ainsi qu’il l’écrivait dans ce même ouvrage : « Croyez-le, le véritable amour est éternel, infini, toujours semblable à lui-même. Il est égal et pur, sans démonstrations violentes, il se voit en cheveux blancs, toujours jeune de cœur. » Lui qui disait encore : « parler d’amour, c’est faire l’amour » et vouait à la comtesse Ewelina Hanska un amour éperdu, et pour une grande part de sa vie, courtois.
Cet élixir, la maison de Balzac l’offre à ses visiteurs sous la forme de cinq parfums créés par les parfumeurs de la Maison Givaudan (Daniela Andrier, Ashley Santiago, Yann Vasnier, Rodrigo Flores Roux, Shyamala Maisondieux) qui évoquent les héroïnes des principaux romans : la fleur d’oranger pour Ginevra, la mariée virginale ; le lys pour Henriette de Mortsauf ; la violette pour Honorine, le mystère pour Béatrix ; le volkameria tropical pour les belles de Java. Ils embarquent le visiteur dans un univers rêvé où les mots respect, écoute et partage, auraient toute leur place.
Du 20 novembre 2024 au 30 novembre 2025, à la MAISON DE BALZAC
47, rue Raynouard, 75016 Paris