A 3.400 d’altitudes, entre la jungle et la cordillère des Andes, Cuzco est appelée à juste titre, le nombril du monde. Mais la capitale de l’empire inca est le coeur d’un vaste réseau de chemins et de routes, articulées à partir du fleuve Urubamba et de ses villages mythiques, couronnés par l’une des merveilles du monde, l’ineffable Machu Pichu. Au milieu de toutes ces merveilles, il est délicieux d’emprunter les chemins de traverser et d’aller à la découverte du jardin botanique crée par la famille Moreno Loaiza à Pisac . La Casa Hacienda Florencio et le Jardin Felipe Marin Moreno sont une étape nécessaire et la plus belle invitation à flâner dans la Valle Sagrado, la Vallée Sacrée.
Le nom est intimidant : Casa Hacienda Florencio Loaiza, mais si vous souhaitez comprendre un peu mieux, il faut oser passer le porche somptueux et pénérer dans la cour solennelle de cette magnifique demeure restaurée en 2010 et qui présente le meilleur de la culture castillane au coeur de la Valle Sagrado. Le trésor de cette maison est le jardin clos et secret que la famille cultive depuis trois générations. Quand on regarde la ville d’en haut, il est presque aussi vaste que la place principale, même s’il est totalement caché entre les murs épais des maisons.
On peut déjà en avoir un aperçu, au cas où la visite ne serai pas possible, en faisant une escale dans le petit restaurant El Encanto – le charme – dont les lumineuses baies vitrées ouvrent sur l’espace laissé par les créateurs du jardin libre pour la floraison d’extraordinaires roses trémières, mêlées d’alstroemères ou Lys des Incas, qui balancent légèrement dans la brise leurs corolles colorées. C’est un bonheur et un garde-manger pour les abeilles qui peuvent y butiner en toute liberté. Ingénieur agronome, le docteur Felipe Marin Moreno, qui avait épousé Rosario, l’héritière de la famille Loaiza, a consacré sa vie à collecter et conserver toutes les plantes qui poussent naturellement ou sont cultivées dans la région. Et c’est un enchantement que de visiter ce lieu guidé par son fils, lui même ingénieur agronome et qui veille avec amour sur ce paradis botanique d’une valeur culturelle inestimable.
Bien sûr, ici comme dans les montagnes andines, les cactus règnent en maître. Il y en a des centaines, de tous les genres, des petits, des grands, des gros, des pointus, des chevelus, doux comme les queues de singes, d’autres piquants dont les épines forment comme des crocs qui arrachent la peau. Certains vivent 200 ans, d’autres fleurissent régulièrement ou encore une fois seulement dans leur vie. Le docteur Moreno les connaît tous par leur nom scientifique et peut aussi expliquer leurs usages, comme moyen défensif, pour conserver l’eau, comme nourriture, comme boisson énergisante ou hypnotique. La grande serre abrite une impressionnante troupe de Lobivia Bruchii, aussi appelés Echinopsis, très répandus dans le Sud du Pérou, en Bolivie et dans les régions de Jujuy et Salta en Argentine. On reconnaît aussi le San Pedro, ce long cactus hallucinogène qui contient de la mescaline et est utilisé par les guérisseurs (curanderos) pour entrer en transe. Les premiers ont été rapportés par le docteur Felipe Marin Moreno et ses enfants continuent d’enrichir la collection.
Emerveillé, on passe des serres des cactus à celles des orchidées qui abritent des trésors plus suaves et discrets. Le docteur Moreno le précise bien : « les orchidées sont capricieuses, on ne sait jamais quand elles vont fleurir. » On glisse comme dans un rêve dans les allées où les arbustes qui produisent les Cantu, ces magnifiques fleurs rouges emblèmes du Pérou voisinent avec les plantes médicinales dont le docteur Moreno sait aussi détailler les qualités : ainsi, la Manka Paki, plante connue des Incas, contre la grippe, la coca qui donne de l’énergie et combat le mal d’altitude, l’herba Luisa, ou verveine citronnelle, appelée Jichu Sokkos en quechua, délicieuse en infusion ou en liqueur. Il y a aussi la délicieuse Muña, bonne pour la gorge et contre la migraine, et aussi très utile pour les cultures, car les Incas savent que, quand elle fleurit, il est temps de semer les pommes de terre. Sans oublier le laurier dont on doit conserver quelques feuilles dans ses poches pour attirer la fortune, dit la sagesse populaire. « Les Incas consacre le Cantu au dieu soleil et est utilisée dans toues les fêtes et cérémonies traditionnelles andines. Elle est aussi utilisée dans les communautés pour faire la teinture de couleur jaune et ces branches servent à tresser des paniers ».
Il faut aussi se laisser guider par le docteur Moreno jusqu’au kiosque qui abrite les « oeufs de Fertilité » en pierre magnétique. « Ces joyaux, explique-t-il, symbolisent la vitalité du territoire et la prospérité partagée par la communauté. » Ces trésors de la civilisation inca promettent à ceux qui en approchent une protection sacrée pour leur famille et pour eux-mêmes.
Dans les petits bâtiments qui entourent le jardin, le docteur Felipe a aménagé un incroyable musée, véritable condensé des savoir-faire botaniques du peuple inca. Il réunit des centaines de variétés de pommes de terre (papa en quechua, comme en espagnol) de toutes les couleurs, des noires, des blanches, des roses, des violettes, des rayées. Le docteur Felipe et ses enfants ont utilisé les très anciennes méthodes de. déshydratation incas (nombreux lavages à l’eau, puis passages au froid avant séchage) afin de leur conserver leur forme et leur teintes originelles. Et l’on repense aux plantations si soigneuses qui germent dans les champs entourés de pierres dans les vallées voisines, à Quiswarani, à Cancha Cancha, sur chaque parcelle patiemment cultivée par les communautés. C’est fascinant, tout comme les dizaines de variété de maïs, avec leurs formes et leurs couleurs diverses. Ou encore les teintures végétales issues des plantes que l’on peut observer à l’extérieur et la collection d’insectes et de papillons réunies par la fille du Dr Moreno, entomologiste péruvienne réputée.
C’est véritablement un enseignement très précieux que d’observer toutes ces plantes réunies par l’ingénieur passionné qu’était le docteur Felipe et soigneusement conservées par sa famille. C’est comme si, dans ce jardin secret, refleurissaient toutes les espèces qui ont désertés les sites archéologiques. On peut imaginer la beauté et l’énergie de ces lieux le jour où de nouvelles énergies et communautés entreprendront de replanter ces cultures vivantes et vivrières sur les terrasses des ancêtres. On peut même l’espérer.
Pratique :
Restaurant Jardin El Encanto, San Francisco, Pisac
Casa Hacienda Florencio, Calle Grau 485, Pisac,
[…] La ville est une forme de représentation parfaite de l’équilibre et de l’harmonie. Depuis la citadelle, qui protégeait l’entrée Sud de la Valle Sagrado, les fortifications dominent le paysage tels des guerriers vigilants. Dans la partie haute, des tours servaient à la fois de protection en cas d’invasions mais aussi de réseau hydraulique pour la captation des eaux de pluie vers les cultures agricoles. Le versant de la colline est constellé de terrasses construites par les Incas et toujours utilisées aujourd’hui pour quelques plantations comme les fameuses Papas, les pommes de terre dont ce peuple connaissait plusieurs centaines de variétés dont l’on peut retrouver les spécimens, en bas dans la ville, au sein du jardin botanique du docteur Felipe Marin Moreno. […]