
Il y a mille raisons de visiter Aréquipa, la Cité Blanche, au Pérou. Et l’une d’elles est d’aller contempler quelques instants la merveilleuse chapelle San Ignacio, autrement appelé la Cúpula policromada, le dôme polychrome, l’un des trésors sacrés parmi les plus précieux, niché près de la Place d’Armes au sein de la prestigieuse église et du cloître de la Compañia de Jésus. En cette nouvelle année 2025, puisse l’ancienne sacristie destinée jadis à l’enseignement des futurs prêtres appelés dans la Selva, la Jungle, inspirer à Doña Musique et à tous ceux qui cheminent avec elle, joie, sagesse, santé, écoute, bienveillance et connaissance.

Ce qui est merveilleux à Aréquipa, au Pérou, et en Amérique Latine peut-être en général, c’est la manière intime et harmonieuse avec laquelle la religion chrétienne et la foi populaire se réunissent. L’on pourrait s’en étonner en songeant aux cruautés et aux trahisons qui ont accompagné la conquête de ce continent aux XVIIe et XVIIe siècle, pourtant les pierres qui ont été édifiés en ces périodes et qui ont survécus, même aux tremblements de terre violents, continuent de murmurer en silence l’alliance mystérieuse de ces temps oubliés. Si vous vous êtes attardés à Aréquipa dans la contemplation sereine du Couvent Santa Teresa dans la calle Melgar, vous aimerez le calme et la paix de l’église de la Compagnie de Jésus, et les trésors qu’elle abrite.



La Iglesia de la Compañia est l’une des plus vieilles de la ville. Après la chute de l’ancienne Ari-quepay, inca, sous la domination espagnole en 1540, la priorité avait été donnée à l’édification des couvents. Les travaux commencèrent ici en 1578, sous la direction de Gaspar Báez et se poursuivirent après 1590 avec le père Diego Felipe. L’architecte avait choisi la pierre de Sillar, cette pierre blanche volcanique qui fait toujours aujourd’hui la beauté de la ville. Trois tremblements de terre, en 1782, 1687 et 1868, ont causé la destruction d’une partie de l’église et de la tour d’origine, mais l’église, le cloître et la chapelle témoignent toujours de l’importance de cet ensemble pour comprendre l’art que l’on appelle « Baroque Andin » ou « Arquitectura Mestiza ».
Le cloître en offre une première vision avec ses fruits, ses fleurs, ses arabesques, ses entrelacs. Les artistes anonymes recrutés par les pères pour ornementer leurs piliers étaient, certainement, des artisans de la région. Si l’on prend le temps de monter les marches qui mènent à la terrasse au-dessus du cloître, on peut jouir de la vue saisissante sur les trois volcans qui couronnent la ville : le Misti (5822 m), le Pichu Picchu (5669m) et le Chachani (6057m) et leurs légendes en sirotant un thé de Coca ou de Muña, toujours bienvenus à cette altitude (2400m).



L’église est ainsi le modèle et le berceau de l’école Arequipeña dont le style s’étendit à travers tout le Pérou et jusqu’en Bolivie et au Nord du Chili. Elle témoigne de ce syncrétisme généreux qui fédère toujours aujourd’hui la population aréquipénienne. La monumentale façade sculptée mêle avec innocence aux anges les principaux symboles de la culture andine, le serpent, le puma, le maïs, la cabosse de cacao. A l’intérieur, les trois nefs avec leurs coupoles laissent découvrir un autel de style churrigueresque, ce maniérisme baroque né en Andalousie, couvert de feuilles d’or. Témoin de la belle entente entre les Pères et leurs fidèles, une Cène surprenante présente également Jésus et ses apôtres attablés, non avec les mets frugaux du Mont des Oliviers, mais devant un cochon d’Inde (rôtisserie locale très appréciée et dénommée Cuÿ), un épis de maïs et les Alli Amarillos, les piments jaunes doux qui font les meilleures recettes aréquipéniennes.

Et puis, il y a la chapelle San Ignacio. De tout l’édifice, c’est le lieu le plus intime et le plus merveilleux. Il faut vraiment souhaiter, et mériter de la visiter et, d’ailleurs, les membres de la Compagnie demandent à ce qui le désirent de s’acquitter d’une somme symbolique (5 soles = 1,28 euros). Les photos y sont interdites, mais un présentoir permet d’acheter des cartes postales à la sortie et je me suis permis de les emprunter pour donner une idée, qui n’est encore qu’un pâle reflet, de la bouleversante splendeur qui vous attend à l’intérieur.

On l’appelle aujourd’hui Chapelle de St Ignace mais elle était autrefois la sacristie réservée à l’usage des prêtres et de ceux qu’ils préparaient à former leurs voeux. Son élévation est particulièrement élevée et surprenante. Elle est peinte, presque du sol au plafond, dans des coloris d’une fraîcheur et d’une gaieté stupéfiantes. Cette coupole polychrome s’élève dans un ruissellement de fleurs, de plantes, d’oiseaux de toutes les couleurs, vers un oculus qui laisse passer la lumière du ciel. Un texte explique que « les auteurs anonymes, influencés de réminiscences espagnoles et arabes, ont laissé une décoration abondante de motifs sylvestres probablement parce que cette sacristie appartenait à un collège où se préparaient les prêtres qui devaient travailler dans la Selva, la Jungle. Il était donc important de nourrir la Détermination et la Connaissance de ces futurs chevaliers afin qu’ils sachent affronter les périls qui se dressaient devant eux et communiquer leur énergie et leur Foi aux populations des Hauts Plateaux.



Les figures des quatre évangélistes sont aussi représentées aux quatre coins accompagnés de leurs symboles dans un dessin un peu différent, sans doute réalisé par les pères Jésuites, à la différence des fresques murales confiées aux artistes indigènes. La peinture face à la porte d’entrée représente Saint Ignace dans la vision de la Storta et trois autres oeuvres de Bernard Bitti, incarnent la Vierge et Christ ressuscité.


Des guerriers et des chérubins s’élèvent aussi entre les branches et les oiseaux. « Les auteurs de la chapelle sont inconnus, tout comme la technique, précise le cartouche explicatif. On croit qu’elle est un composé, actuellement inimitable, de graisse animale et d’aniline ou de colorants végétaux inconnus. Conserve depuis trois siècles la même brillante polychromie. » En effet, quelques restaurations ont été effectuées dans la partie basse, mais les couleurs éblouissantes qui donnent toute sa profondeur et sa magie au lieu sont telles qu’aux heures où elles été peintes.



Ce n’est pas le moindre des mystères. Le plus merveilleux reste l’harmonie subtile et unique qui règne entre les motifs et les thèmes employés. Le visiteur est totalement plongé dans cette forêt, canopée enchantée qui offre une vision idéale de la rencontre entre la foi et la nature, un Jardin d’Eden. D’autres oeuvres interrogent, telles les colonnes qui se transforment en figure humaine et entourent le lave-main taillé dans une seule monumentale pierre de Myamanga. De grands bancs permettent de s’assoir pour contempler, dans la pénombre et le silence bienveillants, ce mystère offert comme une méditation de nature et de paix.

Pratique
horaires d’ouverture : du lundi au dimanche de 09 à 15 heures, entrée gratuite, 5 soles pour la Chapelle San-Ignacio. L’église et le cloître de la Compagnie de Jésus, reconnus comme monuments historiques par l’UNESCO. Les photos sont à juste titre interdites, mais les cartes postales que Doña Musique a pu recueillir à l’accueil offrent une approche, encore faible par rapport à la réalité, de la magie de ce lieu.

Le baroque andin (barroco andino ou arquitectura mestiza) est apparu en Amérique du Sud entre 1680 et 1780 pendant la vice-royauté du Pérou. Ce style, particulièrement représenté entre Aréquipa et le lac Titicaca, entre Pérou et Bolivie, ainsi que dans une trentaine d’églises au Nord du Chili, est le témoignage pictural le plus puissant du processus de syncrétisme entre les conquérants espagnoles et peuples indigènes des Hauts Plateaux. Le mot baroque vient du portugais Barrueco qui signifie flamboyant, audacieux, marbré, impur. Il désigne aussi la perle irrégulière employée en joaillerie au XVIe siècle.
