PÉROU VOYAGES

La Valle Sagrado par Larès et les chemins incas

Il y a beaucoup de lieux sur terre, mais la Vallée Sacrée est un endroit à part, de la même intensité peut-être que Angkor au Cambodge. Une merveille spirituelle du monde dont le Machu Pichu forme l’apogée, le point d’orgue, mais où chaque chemin respire la même harmonie et le même mystère. Nous avons marché, Madeleine et moi, sur ces sentiers, nous nous y sommes essoufflées, exténuées, réjouies, embrassées, amusées. Nous avons ri, nous sommes émues. J’écris ce texte dans la joie. Nous avons eu la chance et le bonheur de parcourir ces caminos, Qhapaq Ñan en langue quechua, en compagnie de Javier Flores Mamani, guide originaire de Cusco qui nous a emmenées au plus près de la culture inca dont il est un fervent défenseur.

Monter au Machu Pichu, c’est une légende, un graal, nous en reparlerons. En fait, parler du Chemin Inca est une facilité touristique, car il y a presque autant de chemins incas que de sentiers caillouteux partout au Pérou. La vallée de Lares, en revanche a une autre sonorité. Plus discrète, plus secrète, moins connue, et pourtant tellement vivante, heureuse.  Le Trek de la Vallée de Lares , organisé par la compagnie Alpaca Expédition, offre une voie d’accès un peu différente, moins extrême, plus humaine, un chemin de traverse qui mène de rencontres en surprises, entre des villages et des paysages merveilleux, une porte ouverte vers la culture inca traditionnelle avec des rencontres pleines de simplicité et de joie.

Ces chemins étaient ceux que les messagers incas, les chaskis, empruntaient jadis de leur pas léger pour permettre à l’empereur inca d’être informé du Nord au Sud de son immense territoire, le Tawantinsuyu. Les Qhapaq Ñan (en espagnol Caminos del Inca) formaient alors un réseau de plus de 40.000 kilomètres de routes piétonnières qui convergeaient à travers toutes les Andes, du Chili à la Colombie, en passant l’Argentin, le Pérou, la Bolivie et l’Equateur, vers la capitale Cuzco, en quechua, le Milieu du Pays. Jeunes montagnards, les Chaskis se passaient les messages contenus dans des kipus – cordelettes à nœuds contenant les données à des relais, les Tambos, situés tous les 6 ou 9 kilomètres. Certains avaient des semelles de vent. Ils étaient capables de parcourir en 15 à 20 minutes la distance qui leur était impartie, soit une vitesse de 18 à 24 km/h, sur ces chemins parfois escarpés, humides, boueux, caillouteux et à des altitudes atteignant parfois les 4.000 mètres. Grâce à leur système de relais, ils pouvaient parcourir jusqu’à 240 kilomètres en un jour pour transmettre leur message. La plupart des Treks que l’on peut réaliser aujourd’hui empruntent ses pistes. Elles irriguent toutes les montagnes, Apus, qui dominent les vallées.

Nous avons quitté Cusco très tôt le matin. Javier est venu nous chercher à 4 heures. Il faisait nuit, la ville brillait sous les étoiles. Nous sommes montés lentement par la forêt d’Eucalyptus en laissant les formes sombres de Sacsayhuaman derrière nous. Sur la route, les collines et les ruisseaux scintillaient. Il était 5 heures du mat, l’heure où Paris s’éveille, mais ici, tout le monde est déjà sur pied et tout prêt pour la journée. A Calca, c’est le marché, tout est calme, les paysans discutent, les paysannes jouent avec leurs enfants, les citrouilles sourient. Javier nous guide à travers les allées vers l’échoppe d’une papetière. Elle a des crayons par paquets, des cahiers, des jeux pour enfants. Il en choisit quelques uns et nous les achetons. C’est vrai, à cet instant, je me demande s’ils nous seront utiles, mais je ne sais pas encore que dans deux jours, je regretterai de ne pas en avoir pris davantage. C’est l’heure où les paysannes apportent des marmites fumantes qui sentent délicieusement bon. Javier qui s’est absenté quelques minutes pour aller chercher du pain, nous invite à goûter ces Tamales, ces pâtés de maïs, cuit dans leur feuille, que l’on sert plutôt ici sucré. C’est particulièrement doux, moelleux et nourrissant. Avec une grenadille rafraîchissante, le petit déjeuner est pris. Les montagnes nous appellent.

Aujourd’hui, après les trois heures de route depuis Cusco, 4 heures de randonnées seulement sont prévues, soit environ 9 kilomètres. Mais avant, il y a une autre étape, celle des Thermes de Lares. Des Thermes ? Après quelques kilomètres de voiture, nous arrivons dans un fond de vallée et face une large enseigne : The Lares Hot Springs site. Oui ! En fait, dans la région, dès que j’en reparlerai, tout le monde gardera le souvenir d’excursions familiales ici et en effet, les bassins peuvent presque sembler antiques et un peu déconcertants avec la couleur de l’eau très jaune, voire verdâtre. J’ai tout de même fait l’expérience et, une fois le maillot enfilé, grande surprise, l’eau était chaude et étonnamment bienfaisante car elle provient de sources naturelles volcaniques. J’avoue avoir préféré le bassin bleu où la température était la plus fraîche, mais on nage très bien dans le grand rectangle vert, c’est une question de préférence.

Photo prise Javier Flores Mamani, je suis le petit point à droite au bord dans la grande piscine verte 🙂

Voilà, tout était prêt pour le départ. Munies de nos bâtons de marche – vraiment très utiles pour toutes celles et ceux qui ne sont pas des Chaskis – nous sommes parties de Punta Carreterat pour deux heures de marches tranquilles. Aucune difficulté, le chemin est doux, mais le sentier se trouve déjà à 3.300 mètres d’altitude, donc le souffle est un peu court. Javier nous explique que nous nous trouvons dans la Potato Valley Area et l’importance de ces pommes de terre pour les paysans ici. Ils en cultivent des centaines de variétés – on dit qu’au Pérou, il y en a près de 4.000 – et savent les adapter à la composition du terrain, à l’altitude, à l’orientation et à la température de la parcelle. Nous trouvons vite. les champs. Ils nous accompagneront partout avec leur nécessaire engrais, du fumier de lama, soigneusement récolté.

La première pause déjeuner était prévue à Kiswarani où les tables du déjeuner étaient déjà dressées par le chef cuisinier de la compagnie Alpaca. Comme nous n’étions par miracle que deux pour cette randonnée, nous n’avions qu’une tente où la cuisine se trouvait d’un côté et notre table de l’autre. Avec Madeleine, nous nous sommes toujours demandées comment le chef parvenait à préparer ces plats, tous plus copieux, et délicieux, les uns que les autres, dans cette cuisine sommaire. Tout était parfaitement coupé, assaisonné, croustillant, comme venu de la cuisine d’un restaurant. Après le déjeuner, une pause sieste était prévue sous les arbres avant de commencer la première montée. Très vite, les premiers lamas se présentent. Pas farouches mais discrets, ils nous observent et se laissent approcher, mais conservent leur distance.

Le chemin est un peu plus abrupt, Javier nous a prévenu, il faut compter une deux heures de marche pour atteindre le point suivant. Nous ne savons pas encore lequel. Le sentier n’est pas difficile, du tout, c’est toujours l’altitude qui pèche. Madeleine, accoutumée aux 2.400 mètres d’Aréquipa, trotte comme un cabri, je suis un peu plus ralentie, mais le paysage est tellement beau. Toute la montagne respire, tout frémit, l’air est parfumé de milles senteurs, mais en montant un son sourd s’impose de plus en plus. Nous approchons de l’une des monumentales beautés de cette randonnée, les chutes de Kiswarani. C’est une immense barrière naturelle d’où dévalent sept cascades. Javier nous explique que les Incas l’appellent d’ailleurs Quanchipaccha, c’est à dire les Sept Bras. Cette cascade est à la fois puissante, imposante et rassurante. Difficile d’expliquer pourquoi, peut-être parce qu’en cette saison, elle s’élargit sans déborder. Parce qu’elle ronronne, plus qu’elle ne gronde.

Une fois le sommet atteint, toujours entre les champs de patates et quelques falaises un peu sombres, nous distinguons bientôt notre halte du soir. Ce sera près d’une lagune dans laquelle une montagne plonge. La brume est tombée, c’est la saison des pluies, tout est nimbée d’une auréole de mystère, c’est peut-être encore plus magique.

Deuxième jour et réveil à l’aube. Il pleut, une jeune fille nous attend sous l’auvent, elle propose des bracelets. Comme au marché de Calca, j’hésite au début à acheter ces petits liens de bonheur et de souvenir. Au fil des jours, j’en prendrais de plus en plus, parce que c’est leur travail et parce que retour en France, ils seront les ambassadeurs de la culture inca auprès de mes amis. J’ai toujours au poignet le tissage bleu avec ses petites têtes de lamas rose que j’ai noué à cet endroit. Une éclaircie illumine le ciel, il faut partir vite, car le beau temps ne sera peut-être pas toujours au rendez-vous. Aujourd’hui est une étape de 14 kilomètres, sept heures de marche, environ avec une météo qui promet d’être hivernale. Pour le moment, à l’abri du vent, au bord de la lagune, c’est toujours le paradis.

Et puis, nous montons, et l’hiver arrive. Le vent devient coupant, il y a beaucoup de lamas sur les flancs de la colline. Ils s’agrippent et nous essayons de les suivre. Javier semble connaître chaque caillou, il nous mène d’un pas sûr vers le sommet, à 4.800 mètres, de la passe du Condor. Pour Madeleine, c’est simple. Pour moi, je l’avoue, un peu rude car la neige, en plus, se joint à la partie. J’ai pris des dizaines de photos de lamas, de cascade, de ruisseaux, de brins d’herbe, pendant toute la randonnée et presque aucune ici… En fait, nous n’y voyons plus goutte tout le temps de la montée, hormis les mules qui nous doublent. Nous nous demandons un peu pourquoi et nous allons très vite le comprendre. Au sommet, là, où nous devrions normalement trouver la plus belle vue, il y a une grosse pierre qui nous permet de nous mettre à l’abri. Et là, ô divine surprise, les porteurs nous attendent avec un thé de coca, des mandarines et des gâteaux au sésame. Ce sont parmi les meilleurs que j’ai jamais bus et mangés.

Mais nous allons redescendre et à nouveau le temps va changer. Ce jour, nous avons déjà connu au moins trois saisons. Car l’air se radoucit, le vent s’est évanoui. La descente vers la vallée suivante est un bonheur. Déjà, on ne monte plus (lol), les cailloux sont gros, les chemins escarpés, et avec les batons de marche, on croit voler. Pour Javier, c’est la simplicité même. Son père était porteur, il est guide, il a tous ces chemins dans les jambes. Nous avons marché vite finalement, plus d’un heure d’avance sur le planning. Nous ralentissons le pas pour admirer le travail de la communauté qui vit sur ce haut plateau à l’abri du monde et que nous allons bientôt rencontrer. Comme le disent les cartes de la région : « Cancha Cancha est une petite communauté située à 3 800 m d’altitude, accessible uniquement à pied. Les habitants, principalement des agriculteurs et éleveurs, vivent sans électricité ni véhicules motorisés. Le village est un lieu idéal pour découvrir la vie traditionnelle andine et profiter d’une nuit sous les étoiles. » Pour moi, je dois l’avouer désormais, c’est l’un des lieux qui m’a le plus émue sur terre.

notre campemeent au bord du ruisseau entre les montagnes

Je pense que je ne pourrai pas décrire vraiment à quoi ressemble Cancha Cancha. Comme son nom l’indique, c’est un terrain (en espagnol Cancha), doublement plat (Cancha Cancha), un vaste champ, entouré de collines où l’on cultive les patates, avec quelques bâtiments récents et, un peu plus loin dans la vallée d’anciennes bâtisses. Il paraît que l’électricité alimente seulement l’école depuis cinq ans. Elle est fermée aujourd’hui, c’est très calme. Nous laisserons quelques paquets de crayons de couleur. ici, le quechua est toujours enseigné. Il y a un ruisseau assez insolent qui bouillonne au milieu. Il y a des lamas partout, pas du tout farouches. Et il y a les habitants. Bientôt, nous allons les rencontrer. Mais d’abord, nous vagabondons un peu. Javier et Madeleine escaladent le piton rocheux qui se trouve à droite de notre camp. Je regarde couler le ruisseau. Un paysan passe, sa démarche mal assurée m’amuse, je le suis du regard. Il va vers le troupeau de lamas, il zigzague. N’aurait-il pas abusé de la Chicha Morada, ce jus de maïs noir fermenté si bon et qui tourne la tête ? Il s’éloigne, je le perds de vue, je rêvasse. Soudain, un grand plouf. Je vois une femme se diriger en courant vers le ruisseau. Notre gars est tombé dans l’eau gelé, Il est lourd et mouillé. Je cours l’aider. Avec nos quatre mains, nous parvenons mieux à le retenir, mais il glisse, il ne fait rien pour se sauver. Il est totalement inerte. Jusqu’à ce que le mari de la femme et Javier viennent nous relayer. José, j’ai appris son nom, lui retire ses vêtements mouillés pendant que Beatriz court en chercher de secs. Puis José emporte l’homme, bien saoul, sur son dos jusqu’à sa maison près de l’école. C’était juste cela, la vie, si brève, magique.

Du coup, Beatriz et José nous invitent chez eux. C’est une maison, ou plutôt quelques petites maisons de pierre au sol en terre battue, entourées d’un muret. Le linge y sèche et un peu plus loin, le ruisseau forme une courbe. Les lamas se reposent comme des gros chats. Dans la maison, les cochons d’Inde – qu’ici on appelle des Cuÿs – couinent et courent jusqu’au jour où on les attrape pour les mettre à griller. La cuisine est un coin de pierre où l’on alimente le feu qui noircit toute l’intérieur. Pourtant, tout cela sent bon. D’un coffre improbable, Beatriz sort des vêtements qu’elle nous propose d’essayer. En quelques minutes, nous sommes vêtues comme elle. Cela pourrait être folklorique, mais c’est, je crois, un peu différent.

Avec son mari, elle nous remercie pour notre aide. José nous explique le fonctionnement de ses outils agricoles, sa houe, la même forme depuie le 17e siècle, qui lui sert à tout, à aller bêcher à la main ses champs de patates en haut des collines. Il fait un assez long discours en espagnol que je ne comprends pas très bien pour nous dire comme il est important que nous venions leur rendre visite. C’est pour cela que je me suis enfin décidée à raconter cette histoire. Il m’a fallu beaucoup temps avant de parler de ces lieux que j’aime tant, et aussi, j’hésite encore, car ce qui était beau aussi, c’était cette solitude, cette sérénité. J’aurais voulu les garder pour moi, mais je sais que José et Béatriz ont besoin aussi de voir du monde, de vendre leurs produits, qu’il ne peuvent rester toujours dans ce dépouillement. Leurs enfants vont à l’université, reviendront-ils un jour au milieu des lamas ? Vieilliront-ils seuls ? Comment cela se passera-t-il le jour où ils auront besoin de soins ? Alors, j’aimerais leur dire gardez vote joie, gardez votre intégrité, gardez votre rire, et tout votre savoir de la montagne, mais je sais qu’ils souhaitent qu’on leur rende visite. Je prie juste que ceux qui viendront aient pour eux le même respect que celui qu’ils ont manifesté pour nous.

Après la nuit à Cancha Cancha, nous nous sommes réveillés très tôt. Deux femmes du village sont déjà là et ont étalé leurs trésors à quelques pas de nous. Cette fois, j’en achète plein. De tout ce que j’ai pu voir depuis, je n’ai pas retrouvé de tissages aussi fins, aux couleurs si délicates et aussi solides. Le cuisinier d’Alpaca a préparé un énorme gâteau coloré, magnifique et délicieux. Dessus il a écrit « Feliz Viajes a Machu Pichu ». En effet, nous y serons demain… Nous nous quitterons bientôt et il veut nous régaler. Le gâteau était bien trop gros pour nous et j’ai été très heureuse de pouvoir en offrir un gros morceau à la petite fille et aux deux mamans.

Voilà, il faut redescendre, le jour se lève, c’est une bonne marche, 9 kilomètres, mais tout en pente douce. Le sentier suit la Quebrada Cancha Cancha, une vallée verdoyante traversée par un petit ruisseau. En quittant le village, avec tant de regrets, on traverse de mystérieux cercles de pierre, des murets levés entre les arbres, de part et d’autre du cours d’eau. Ces clôtures pour les animaux sont si harmonieuses qu’on les dirait dessinées par des fées. Les lamas, les alpacas, sont encore partout, parfois leur petite tête transparaît entre les arbres, curieux de voir ces deux pattes qui bringuebalent entre les cailloux. Et aussi les cultures de papas, toujours, mais aussi de fèves, et voici, le retour des eucalyptus et des fruits, des pêches, des avocats, du maïs, dans le creux de la vallée où la température se réchauffe aussi doucement.

Passer le mond

Quand nous arrivons à Huaran, l’altitude n’est plus de 2.700 mètres. Pour un peu, nous aurions chaud. Le chef nous a préparé un délice de cheviche. Lui et les porteurs nous quittent ici et nous leur donnons un pourboire tellement mérité. La randonnée n’est pas finie, loin de là, il reste encore le morceau de roi, le Machu Pichu qui nous attend demain et nous en reparlerons, et aussi les salines de Maras où le sel des Incas est toujours extraits d’une source saline qui jaillit à 3.000 mètres d’altitude, mais c’est une autre histoire…

Pratique :

le Trek de Lares peut se faire en autonomie, mais il peut-être plus facile pour rencontrer les communautés alentours de demander à une compagnie ou à un guide. Pour notre part, nous avions demandé les conseils de la compagnie Alpaca Expéditions. Javier Flores Mamani, un guide vraiment attentionné, passionné par la culture de son pays, la transmission des traditions, nous a emmené sur ces chemins. Beaucoup des photos que je vous présente ici sont de lui et je l’en remercie. Nous le retrouverons dans un autre article pour raconter le Machu Pichu où il travaille désormais et qu’il connaît depuis l’enfance. Comme Javier nous l’a dit, nous avons un ami au Pérou et il nous a pour amies.

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