Avec le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, le danseur et chorégraphe Martin Harriague crée America, œuvre actuelle et audacieuse. Cette interrogation et performance sur le continent qui a engendré le Blues et le Ku Klux Klan, sur les murs (walls) et sur les ponts (bridges) a reçu une ovation debout au Festival le Temps d’Aimer la Danse à Biarritz.

Qui a dit que la danse n’est pas politique. Certainement pas Louis XIV qui en fonda l’Académie en mars 1661 alors même qu’il prenait le pouvoir. Pas plus Thierry Malandain, directeur du Centre Chorégraphique National de Biarritz dont il a fait depuis sa création en 1998 l’un des pôles majeurs de vie culturelle au pays Basque et en région Nouvelle Aquitaine. Encore moins, Martin Harriague, 36 ans, qui lui succèdera en janvier 2027 à la tête l’institution biarrote. Entre « Ça colle au Basque » un colloque menée par l’Institut Basque Etxepare et le Centre Chorégraphique National Malandain Ballet Biarritz pour promouvoir la création chorégraphique basque de part et d’autre de la Bidassoa et la populaire Gigabarre sur le Grande-Plage , l’enfant du pays présentait son America, plus près de West Side Story, que de Disney, ou de Broadway.

Donnée en novembre 2024 à l’Opéra Grand Avignon et au Festival Off pendant l’été 2025, ce manifeste culturel engagé s’aventure donc à l’Ouest pour la première fois hors de la cité des Papes. Ce que l’on retient et ce qu’on l’on en dit, en premier lieu, c’est que la pièce s’empare de la figure du Président américain, Donald Trump. Pour résumer son mandat, depuis 2017 et jusqu’à sa réélection en 2024, Martin Harriague a compulsé et réunit des milliers d’images, remisé des extraits de discours, tout particulièrement la construction du mur à la frontière avec le Mexique et l’attaque du Capitole. Affublés de masques à perruque orange, les danseurs démultiplient jusqu’au ridicule l’image du 47e président des États-Unis. Mais, Martin Harriague distribue les rôles autrement. Donald Trump n’est pas du tout l’étoile de ce Ballet. Il est tour à tour multiple, minuscule, vociférant, répétitif, mécanique, tout le contraire de ce qui, dans la danse et dans la vie, crée le signe, le trait, le sens.
Les gestes disent beaucoup plus que les mots, répétés en boucle : la violence, le racisme, l’homophobie, la passion pour les armes. « Pour ma première création en tant que nouveau directeur de la danse de l’Opéra Grand Avignon, dont la première a eu lieu le 30 novembre 2024, j’ai voulu marquer un geste fort, en écho à l’actualité. Alors que les élections américaines battaient leur plein, j’ai décidé de consacrer une dernière œuvre à une figure que j’ai exploré à travers plus d’une douzaine de pièces : Donald Trump », explique dans la Feuille de Salle Martin Harriague, à la fois chorégraphe, metteur en scène, vidéaste.

« Ce sera la dernière, poursuit-il, car aujourd’hui, je ressens le besoin de me tourner vers une autre forme d’écriture, plus abstraite, plus poétique. Le monde a cruellement besoin de poésie, de création… Certains dirigeants du monde étant eux plus spécialisés dans l’art de détruire et de tuer. J’ai voulu, une fois encore, interroger ce personnage devenu mythe. Le 28 octobre 2024, j’ai assisté à son meeting à New York, au Madison Square Garden. Une immersion troublante, mais précieuse : comme un reporter sur le terrain, j’ai pu affiner ma vision, ajuster ma chorégraphie au plus près du réel. AMERICA ou comment un showman sans limites transforme la politique en spectacle total. Sa rhétorique simpliste devient matière chorégraphique, son langage cru une partition sonore, son obsession de la force un moteur de mouvement. Mais derrière ce vacarme, d’autres récits émergent, des récits d’espoir, d’optimisme, d’une Amérique plurielle, vivante, capable encore de faire tomber les murs.»
Enfant de la côte, Martin Harriague a commencé la danse à dix-neuf ans, prenant sa première barre à l’âge où d’autres sont nommés étoiles. Jusqu’alors, hormis cette fascination pour Michael Jackson dont le concert à Paris lui donne envie « d’être à la place du chanteur », il n’éprouvait pas d’attirance particulière pour l’univers du spectacle. Une représentation à Biarritz du Casse-Noisette de Thierry Malandain décide subitement de sa vocation. Chorégraphe, il « inventerait des univers » et il a bien voyagé pour affiner son écriture avant de retrouver son rocher, au Ballet national de Marseille, au Nord Nederlandse Dans, dans la Kibbutz Contemporary Dance Company, « par désir de se frotter à cette fameuse danse israélienne et de « comprendre de l’intérieur une situation politique complexe ».
« Faire tomber les murs »
La danse, il la place au sommet ainsi qu’il l’écrit : « Je crois en la puissance du corps virtuose combiné à différentes formes d’art,je crois en sa capacité à chanter notre perception du monde pour le rendre meilleur. » Il y a trois ans, en septembre 2022, dans l’ancien cinéma le Colisée, seul en scène, il créait Starlight, un hommage à l’un des pivots de sa vocation d’artiste : Mickael Jackson et son tube planétaire, « Thriller ». 75 minutes incandescentes où il montrait l’étendue de son talent, de l’écriture au jeu d’acteur à l’improvisation au clavier et aussi, au « moonwalk ».

Mais si dans Starlight, Mickael Jackson illuminait toute la scène, le cœur d’América, cette oeuvre à l’écriture chorégraphique puissante et rapide, ce n’est donc pas Donald Trump. C’est cette silhouette androgyne qui sort de la fange, cette femme frêle en noir qui tend la main. Elle danse d’abord sur le génial Mississippi Goddam de Nina Simone, avant de s’évanouir face au montage vidéo d’images qui retrace l’histoire noire des Etats-Unis, la ruée vers l’Or, la disparition des bisons,des Indiens, les champs deCotton, le Ku Klux Klan, les murs, tous les murs. Avec la pantomime des avatars de Trump, la musique devient insupportable, assourdissante, comme une pétarade de mitraillettes. On aimerait que cela s’arrête…

Et puis, peu à peu, tout change. Un long, très long moment, la phrase clef du discours prononcé par Donald Trump en 2019 : « Walls work and walls save lives », tourne en boucle dans une cacophonie métallique. Mais, un accord s’installe peu à peu, d’abord pianissimo, puis crescendo. Un accord parfait, qui évoque la chanson culte de Simon and Garkunkel : « lika a bridge over troubled water » et évolue peu à peu vers un choral de Jean-Sébastien Bach.

Sur les notes pures du piano, les corps se rejoignent, l’espoir semble renaître, la lumière, de l’autre côté de ce mur, dans ce pays où vibrent les mélodies mexicaines. Portée par les siens, la femme métisse, c’est Lady América, cette nouvelle et fragile Statue de la Liberté.
Cette nouvelle et fragile statue de la Liberté
On pourrait passer le pont, si on ne se laissait pas tenter par le règne de l’argent qui revient et inonde la scène sous ses pluies sirupeuses de paillettes et de billets. Bigger…Better… Si on rêvait d’un autre monde ?

Pratique :
America : le 5 septembre 2025 à la gare du Midi de Biarritz,
prochaine date : 14 avril 2026, Opéra Grand Avignon
Chorégraphie, mise en scène, montage son, création lumières, costumes : Martin Harriague
Création vidéo : Steeve Calvo et Martin Harriague
Musiques The Shoes, Krzysztof Penderecki, Nina Simone, Barry White, The Knife, Chavela Vargas, J.S. Bach, Killswitch Engage, Ryuichi Sakamoto, Lee Greenwood, extraits de discours de Donald J. Trump (*)
Assistants chorégraphes : Nadav Gal et Mathieu Geffré
Régie vidéo One way et Steeve Calvo
Réalisation décor et costumes : Opéra Grand Avignon
Interprètes : Daniele Badagliacca, Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel, Elisa Cloza, Joffray Gonzalez, Léo Khébizi, Hanae Kunimoto,Tabatha Longdoz, Kyril Matantsau, Marion Moreul, Ari Soto, Giorgia Talami
Production de l’Opéra Grand Avignon
*Tous les discours de Donald J. Trump présentés dans ce spectacle sont authentiques et proviennent de sources vérifiables. Aucun extrait n’a été généré, modifié ni altéré par une intelligence artificielle. Il en est de même pour les œuvres musicales : toutes sont d’origine humaine, sans intervention d’outils d’intelligence artificielle à quelque étape que ce soit de leur création ou diffusion.

