Écosse EN SCÈNE Musique VIOLON

Quand les Arts Florissants rencontrent Beethoven

Le lundi 8 octobre, dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, les Arts Florissants, fondés par William Christie, et dirigés ce soir par Paul Agnew, s’offraient une escapade avec Mozart et Beethoven. Le concerto n°3 en sol Majeur, interprété par le violoniste Théotime Langlois de Swarte, et la 6e symphonie, dite Pastorale, du compositeur viennois. Une sorte de voyage vers le futur pour l’ensemble qui célèbre la musique baroque depuis plus de quarante ans. Et un regard différent, empli de souplesse et de lumière vers l’éternel jeune homme et le titan du répertoire.

Les pigeons blancs dans les jardins de Thiré

La première rencontre avec Ludwig van Beethoven est toujours inoubliable. Que ce soit la Lettre à Elise, l’Hymne à la Joie ou le « Pom Pom Pom Pom » d’ouverture de la 5e symphonie, sur la planète entière, nul ne peut dire qu’il n’a jamais entendu une mélodie du compositeur allemand. C’est justement ce que racontait Paul Agnew devant le public captivé de la grande salle Pierre Boulez à la Philharmonie en prélude de ce concert. Pour les Arts Florissants et leur directeur musical, c’était aussi une première. L’ensemble fondé par William Christie a gagné sa réputation internationale en s’affirmant comme la perle des ensembles baroques. Travailler, écouter, jouer, Mozart, Beethoven, c’est toujours une joie. Pourtant, en la matière qu’est-ce que les Arts Florissants, et Paul Agnew, pouvaient apporter de plus, de mieux, de différent que tous ceux, de Herbert von Karajan à John Eliot Gardiner,  en passant par Simon Rattle et à Jos van Immersel, qui ont déjà offert leur vision, leur énergie, leur puissance à ces deux géants ? C’était toute la question que l’on pouvait se poser en entrant dans la grande salle et c’était l’aventure dans laquelle Paul Agnew engageait ses phalanges musicales.

« Quand j’annonce la 6e Symphonie de Beethoven, j’entends les cris, s’amuse Paul Agnew. On me dit : Mais non, c’est trop tard, c’est une autre musique, laisse cela pour les autres. Je réponds : Pourquoi pas Beethoven.  C’est très intéressant de penser que la sœur de Mozart, Nannerl, qui a vécu deux fois plus longtemps que Wolfgang, est morte dix ans après la 9e symphonie et qu’elle aurait pu toutes les entendre. C’est fascinant de retrouver les couleurs que le compositeur a connu, c’est notre travail avec Lully, Charpentier, Haendel, Bach, mais aussi avec Mozart et Beethoven, et ce sera un moment pour nous incroyable. »

Paul Agnew, co-directeur des Arts Florissants par Daniel Ortega

Le co-directeur des Arts Flo, né à Baillieston en Ecosse, a fait bien du chemin depuis sa première apparition en Jason dans l’opéra de Marc-Antoine Charpentier, Médée. Sa voix de ténor et haute-contre est si pure, si ample, qu’on pouvait regretter d’abord de ne plus l’entendre dans les rôles où il excelle, de King Arthur de Purcell à Atys de Lully, sans oublier son merveilleux Platée de Rameau. Mais, en bon Ecossais, Paul Agnew (prononcer Aniou) aime franchir les gués et il ne s’interdit pas des incursions chantées, notamment lors des festivals dans les jardins de William Christie à Thiré.

Son programme était comme une invitation au voyage. Paul Agnew nous a pris par la main doucement. D’abord, en parlant – c’est toujours précieux d’entendre sa voix nous guider-  du concerto n°3 pour violon de Mozart composé en 1775, le concerto d’un jeune homme de 19 ans alors que Beethoven est lui, un petit garçon de 5 ans qui commence à étudier le piano dont il deviendra virtuose. Puis, en évoquant la création de la VIe Symphonie, à Vienne, un 22 décembre 1808, dans le théâtre An der Wien, « sans chauffage ». Il précise : « la Ve, c’est toute la frustration de Beethoven ; la Vie, c’est toute sa joie. Il adore aller à la campagne, là, il peut respirer. Il dit que les collines et les arbres crient Sanctus. »

La JOIE, c’est bien la brise qui a couru toute la soirée entre la scène et les tribunes de la Philharmonie. Les germanophones évoquent le terme « frische Luft », et oui, c’était bien cet « air frais » qui donnait à chacun le cœur plus léger et le sourire aux lèvres. Surprise, c’est l’ouverture ultra-célèbre de l’opéra les Noces de Figaro qui ouvre le concert. Il faut avoir une belle confiance en soi pour commencer par les premières notes de cette « Folle Journée ». Dans cette œuvre au cordeau, les Arts Florissants ont suivi leur chef vec une maîtrise et une tension parfaite, comme un cheval fringant. Le tempo était particulièrement allègre. Les croches s’envolaient en double-croches, les blanches pointes se dédoublaient aussi sans que jamais les accords de tutti ne tombent. Tout juste 4 minutes après, c’était déjà fini et on se mettait déjà à rêver qu’un Figaro et une Suzanne enchaînent avec la même légèreté leur premier duo, même si, comme Jean-François Boukobza le rappelle dans le livret d’accompagnement, cet ouverture fut composée après l’achèvement de l’opéra et n’entretien aucun lien thématique avec lui. » L’année de sa création, le 1er mai 1786, à Vienne, un jeune Beethoven de 16 ans composait ses premières sonates pour piano et on peut assez raisonnablement imaginer qu’il avait joué l’une d’entre elles devant Mozart.

Théotime Langlois de Swarte

A propos de Wolfgang, déjà, Théotime Langlois de Swarte faisait son entrée. Le musicien n’a pas trente ans et une simplicité attentive et sérieuse qui le rend particulièrement aimable. Ce « petit » concerto pour violon et orchestre n°3 en sol Majeur K 216 fut composée en 1775. Mozart avait 19 ans et il dirigeait  depuis son violon cette œuvre éclaboussante de jeunesse qui laisse la part belle aux cadences du soliste. Théotime Langlois de Swarte les déroulait avec une virtuosité chamboulante sans jamais perdre le fil avec le tutti. Après avoir glissé tel un cygne au-dessus de l’étang sur le tapis de cordes de l’Adagio, le violoniste prenait à pleines mains l’andante mineur du Rondeau final comme s’il allait chercher dans les tréfonds de son violon les poignées d’humus de l’automne. Trois bis, dont la transcription du tendre « Deh vieni alla fenestra » de Don Giovanni, ont sonné les au-revoir avec Théotime. Et puis, un peu avant 21 heures, le moment était venu.

« Les collines et les arbres crient Sanctus »

Si,  pour l’essentiel de l’auditoire, c’était « juste » une nouvelle version, pour Paul Agnew, c’était Sa Première Pastorale. Et il faut le dire, dès les premières notes, on a compris que, oui, les Arts Florissants, du haut de leurs 45 ans, peuvent apporter leur pierre à l’interprétation de ce monument et que leur chef, Paul Agnew, y trouve toute sa place de guide, majeure et essentielle en tant que co-directeur et chef, aux côtés du fondateur, William Christie qui peut ainsi dégager un peu plus de temps pour revenir à son instrument de prédilection, le clavecin. Dès l’entrée, on comprend pourquoi cette Vie trouve bien sa place dans la trajectoire de l’ensemble heureusement dénommé. Tout y est champêtre, rayonnant, scintillant de lumière, à l’image des jardins de Thiré où les Arts Florissants se produisent chaque été et où ils puisent leur élan et leur joie de vivre communicatives.

Le Bâtiment des Arts Florissants à Thiré

Porté par des pupitres de cordes exemplaires et une petite harmonie – hautbois, bassons, clarinette, flûte – idéale, sans oublier les percussions de Marie-Ange Petit qui claquent comme l’orage l’orchestre galope porté par la direction souple et fluide de Paul Agnew. Ce n’est plus une symphonie, c’est une danse, une barcarolle, une musique qui fait du bien à l’âme et d’où l’on sort purifié comme après une longue balade au sein de cette nature que Beethoven, comme les Arts Florissants, laissent exulter. On jubile avec eux. Espérons qu’à l’avenir, sans jamais délaisser les œuvres fondatrices qui leur ont offert leur souplesse, les Arts Florissants emprunteront toujours ces chemins de traverse qui donnent à chacun la force d’aller de l’avant dans la confiance et la joie.

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