EN SCÈNE OPÉRA

Falstaff de Giuseppe Verdi, féministe avant l’heure ?

L’Opéra de Paris ouvre sa saison 2024-2025 avec deux monstres du répertoire : Falstaff, le Don Juan qui n’a rien compris et Madame Butterfly, la plus innocente des créatures lyriques dont nous reparlerons tout à l’heure. Deux rencontres fracassantes au sommet de l’art.

Il est là, gros et roux, planté au milieu de la scène. On ne voit que lui, posé au centre de la scène, entre cour et jardin, l’air content de lui. « Falstaff », c’est le premier mot de l’opéra, répété par le Dr Cajus, « Sir John Falstaff », il prend toute la place et il en est fier. Manifestement, c’est son habitude, de longue date. Mais l’eau a coulé sous les ponts. Il mange, il boit, comme les héros de l’opéra-bouffe,  la Vie Parisienne (1866) de Jacques Offenbach, il voudrait « s’en fourrer jusque-là », et bien sûr, sans payer la note. Jusqu’à ce jour, c’était bien ainsi, n’est-ce pas, mais voilà, cela ne marche plus comme cela. Et cela, Falstaff, il n’arrive pas à le croire. Pour son dernier opéra, Giuseppe Verdi (1813-1901), le héros du peuple italien, l’immense compositeur de Rigoletto (1851), de la Traviata (1853), de la Force du Destin (&862), de Don Carlos (1867), change de registre. Après avoir délaissé les scènes, lassé peut-être par le succès d’Aïda (1871) et l’échec de Simon Bocaneggra (1881), il s’est laissé persuader de reprendre la plume par son ami et compère, Arrigo Boito qui écrit pour lui deux livrets, tous deux inspirés par  des œuvres de William Shakespeade, Otello (1887), la tragédie et le succès absolu, et Falstaff (1893) , une comédie qui déconcerte le public de toute sa splendeur prémonitoire.

Car les héros sont fatigués et il n’y en a carrément plus dans cet opéra. Tout le monde, ou presque, est moche et ridicule, comme dans le Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert. Rien de wagnérien, de mythologique, des petits esprits qui ne songent qu’aux billets, à la vengeance et aux commérages. C’est d’ailleurs le titre de la pièce qui a inspiré Arrigo Boito, les Commères de Windsor. Ce sont elles qui tirent les ficelles de ce vaste piège où le pauvre Falstaff se retrouve peu à peu ficelé comme un beau gibier. Pour avoir voulu se jouer des femmes, en écrivant aux belles et riches, Alice Ford et Meg Page, la même déclaration d’amour enflammée, il devient la cible de leur vengeance. Arrigo Boito et Giuseppe Verdi montrent qu’ils connaissent leur répertoire par cœur car cette vengeance utilise les mêmes ingrédients que ceux qui ont, jadis, trompé le comte Almaviva dans les belles Noces de Figaro de Mozart. Un paravent-fauteuil où l’on se change et où l’on se cache, une malle où l’on disparaît, une forêt où la vérité se révèle.

Une forêt mythique où tout se révèle

« Cette production est du siècle passé, avec son esthétique très éloignée de celle de mes projets récents, explique Dominique Pitoiset, qui a travaillé à sa reprise. Mon parti pris serait différent si je devais remonter l’œuvre. Cependant, en revoyant la scénographie, je lui ai trouvé beaucoup de charme et me suis replongé dans le projet comme on redécouvre une vieille bande dessinée laissée sur une étagère, avec beaucoup de plaisir. Cette scénographie est pleine des fantômes de ceux qui l’ont habitée, et ils sont nombreux. À l’opéra, l’histoire des reprises est chargée de mémoire et d’humanité. Si la production a fonctionné et perduré, c’est grâce à la communauté des artistes et des services techniques qui ont maintenu le propos vivant. »

Les décors de Falstaff construits par les ateliers de l’Opéra de Paris en 1999 dans les délicats jeux de lumière de Philippe Albaric adaptés par Christophe Pitoiset. Photo : Vincent Pontet.

On débarque donc devant ce grand décor, immense mur de briques qui se déploie sur toute la largeur et la hauteur de la scène et d’où surgissent, comme autant de surprises, des éléments de vie, garage, escaliers de demeure victorienne, inspirés à l’époque au réalisateur par le film « Il était une fois en Amérique ». Au milieu de ce quartier ressuscité avec talent par les ateliers de décors de l’Opéra de Paris, les jeux d’acteurs ont la part belle. Ambrogio Maestri, l’interprète de Falstaff s’en donne à cœur joie. A chaque acte, il est merveilleux de suffisance, d’effroi, de repentir. Quant aux commères, Mrs Alice Ford (Olivia Boen), Mrs Quickly (Marie-Nicole Lemieux), Mrs Meg Page (Marie-Andrée Bouchard-Lesieur) et Nannetta (Federica Guida), elles sont les véritables héroïnes de l’oeuvre et se donnent la réplique avec une joie, une malice et un bonheur communicatifs.

Servi par cette troupe et par un orchestre rutilant dirigé par Michael Schønwandt, la musique de Verdi révèle le beau message d’avenir que le compositeur réserve à ses successeurs. Son ampleur, ses harmonies, ses partis-pris cocasses et disonnances ouvrent la voie à Giacomo Puccini, à Benjamin Britten, à Alban Berg qui sauront aussi faire la part belle aux anti-héros. Falstaff est vraiment un opéra du XXe siècle dont la reprise à l’Opéra Bastille enjambe les siècles avec élégance et impertinence.

En ce mois de septembre 2024, l’Opéra de Paris et son directeur Alexander Neef ont choisi de reprendre l’œuvre dans l’ancienne mise en scène de Dominique Pitoiset. Créée en 1999 à l’Opéra-Bastille, elle fête ses 25 ans et est dédiée « au souvenir de Hugues R. Gall, directeur de l’Opéra National de Paris de 1995 à 2004 qui a fait entrer cette production au répertoire ». On ne peut que remercier et rendre hommage à cette personnalité majeure de la culture française pour tout ce qu’il nous a offert et, ici encore, pour la justesse de cette production, qui a passé un siècle et un millénaire, et offre à ses interprète un décor à la mesure de leur talents et de leur jeu.

FALSTAFF – Compositeur : Giuseppe VERDI –
Livret : Arrigo BOITO – Direction musicale : Michael SCHONWANDT –
Mise en scene : Dominique PITOISET – Scenographie : Alexandre BELIAEV –
Costumes : Elena RIVKINA – Lumieres : Philippe ALBARIC –
Avec : Ambrogio MAESTRI (Sir John Falstaff) – Olivia BOEN (Mrs Alice Ford) – Marie Andree BOUCHARD-LESIEUR (Mrs Meg Page) – Andrii KYMACH (Ford) – Gregory BONFATTI (Docteur Cajus) –
Marie Nicole LEMIEUX (Mrs Quickly) – Ivan AYON-RIVAS (Fenton) – Federica Guida (Nannetta) –
Nicholas JONES (Bardolfo) – Alessio CACCIAMANI (Pistola) –
Le 07 09 2024 – A l Opera Bastille – Photo : Vincent PONTET

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