À LA UNE DANSE EN SCÈNE PARIS

Racines à l’Opéra-Bastille : New-York, New-York !

A la Bastille, le Ballet et l’Orchestre de l’Opéra de Paris se déploient avec perfection et incandescence dans un programme baptisé Racines où trois chorégraphes, George Balanchine, Mthuthuzeli Movember et Christophe Wheeldon mettent en résonnance trois œuvres mythiques : Thème et Variations de Piotr Ilitch Tchaïkovski ; Rhapsody in Blue de George Gerschwin ; la Sérénade d’après le Symposium de Platon, renommé Corybantic Games, de Léonard Bernstein, le tout sous la baguette de Vello Pähn. Pourquoi ? Et pourquoi pas ?

Une soirée avec trois œuvres, trois compositeurs, trois chorégraphes. Intitulée Racines, elle présente Thème et Variations de Piotr Ilitch Tchaïkovski créés en 1947 à New-York, par George Balanchine, une reprise qui rend hommage à la tradition académique russe ; Rhapsody de George Gerschwin par Mthuthuzeli November, originaire de Cape Town en Afrique du Sud, fait son entrée au répertoire. Enfin, Christopher Wheeldon puise dans l’héritage de la Grèce antique pour un ballet rebaptisé Corybantic Games, sur la Sérénade d’après le symposium de Platon (1954) de Léonard Bernstein, une composition en 5 mouvements pour violon solo, cordes et percussions.

Pourquoi José Martinez, le directeur du Ballet de l’Opéra National de Paris, a-t-il fait ce choix ? A quatre reprises cette année, sous les noms de Racines, Contrastes, Empreintes et Vibrations, l’ancien danseur étoile espagnol, reconnu comme l’un des meilleurs danseurs de son temps, et également chorégraphe lui-même, fait le choix de réunir des productions. Voici donc la première, et on peut se demander à la lecture du programme : mais pourquoi donc ? Pour la beauté bien sûr, pour le lien, et enfin, c’est une fierté, pour le plaisir de voir tous les corps de métiers de la Grande Maison unis, costumes, décors, machinistes, lumières sublimes, ballet et orchestre autour d’une création qui fera date.

Beauté parfaite donc, pour commencer, avec Thème et Variations, ce ballet dont Balanchine, maître du ballet néo-classique, a pensé la chorégraphie comme « une sorte de princesse Aurore. » « Il y construit une hiérarchie de type classique avec, en tête, la ballerine et le danseur noble, suivis de quatre demi-solistes (un rappel des fées de La Belle au bois dormant), huit danseuses du corps de ballet (peut-être les demoiselles de la Cour) et leurs partenaires (cavaliers). La chorégraphie reprend le même microcosme féminin que La Belle avec un minimum de moyens pour produire un maximum d’effet : les variations ne sont que le développement élaboré de pas de base de la danse classique,» explique le chorégraphe. On retrouve donc sur scène, les étoiles Valentine Coalasante et Bleuenn Battistoni qui avaient illuminé le rôle de la Belle au bois dormant au premier semestre 2025 (et en alternance Roxane Stojanov avec Lorenzo Lelli et Inès McIntosh et Francesco Mura). C’est un début de soirée, très classique, comme si les danseurs y présentaient tout leur matériel technique : port de bras, petits sauts, ronds de jambes sautés, piqués balancés en altitude, pirouettes… Le décor est le plateau nu de l’opéra où leurs évolutions se dessinent sur le fond bleu pur. Des racines, et des ailes, déjà en quelque sorte.

Puis, après un léger précipité – temps pendant une soirée où le public reste dans la salle pendant que les machinistes préparent la scène – voici que s’élève la petite voix narquoise de la clarinette, ce célèbre solo glissando qui fait rêver – ou cauchemarder – tous les instrumentistes. On ne se lasse jamais d’écouter Rhapsody in Blue, l’oeuvre si célèbre composée par Georges Gerschwin, hymne à la vie trépidante de New-York où elle fut créée le 12 février 1924 à l’Aeolian Hall. Et l’on pense que ces pièces, en apparence si différentes, se sont jouée à 1,5 miles de distance, au Sud de Central Park. Pourtant, autant George Balanchine gardait Tchaïkovski dans le corset scintillant et serré de l’académisme, autant avec Rhapsodies, entrée au répertoire, Mthuthuzeli November jette ses danseurs, et ses spectateurs, dans l’univers de la rue, en l’occurrence sud-africaine. Le chorégraphe originaire de Cape Town reste fidèle au « melting pot » américain désiré Gershwin qui disait avoir pensé son œuvre la plus connue comme « une sorte de kaléidoscope musical de l’Amérique – de notre grand melting-pot, de notre dynamisme national inégalé, de notre blues, de notre folie métropolitaine. » L’ambiance urbaine s’enrichit du vocabulaire des danses de rue et des danses africaines qui ont construit le langage de November, mais aussi comme un hommage à la chorégraphie de Jérome Robbins dans West-side Story de Léonard Bernstein. La troupe évolue au milieu d’une structure mobile parfaitement découpée, tour à tour, porte, maison, pages d’un livre où les danseurs peuvent s’assoir, se reposer, se séparer, se retrouver.

La soirée avance, après l’entracte, retour dans la salle aux carrés noirs sous le grand plafond de verre de l’Opéra Bastille. Le chef Vello Pähn est acclamé, une épreuve d’envergure l’attend. A ses côtés, le premier violon, Frédéric Laroque s’est levé. Pour ce troisième ballet créé en 2018 pour le Royal Ballet, Christopher Wheeldon s’empare d’une oeuvre peu connue de Léonard Bernstein (1918-1990). Cette sérénade après le symposium de Platon fut donnée le 12 septembre 1954 à la Fenice (Venise) avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël et le violoniste Isaac Stern, avant d’être enregistré en 1956 à New-York. Bernstein y évoque les silhouettes des convives du Banquet de Platon (Phaedrus, Pausanias, Aristophane, Eryximachus, Agathon, Socrates et Alcibiade) dans une forme de transe antique qui évoque le thème de l’Amour. On dit que Bernstein dirigeait l’orchestre de façon corybantique, à la manière de ces hommes, les Corybantes, danseurs et musiciens qui célébraient le culte de Cybèle, la déesse de la guerre, avec des flûtes, des tambourins et des cymbales. Le violon s’élève au-dessus de tout cela comme l’âme du poète ou du philosophe. Des costumes aux lumières qui dessinent des colonnes, tout évoque un univers de jeux olympiques à l’aube des temps, cependant que la musique, dans le thème de l’Amour, comme dans ceux des combats, apparaît nettement comme le creuset de West Side Story, la comédie musicale qui naîtra sept ans plus tard, en 1961, l’hymne aux rues de New-York.

Et voilà, la boucle est bouclée au creux de la Grosse Pomme. Des Ballets parfaits de Balanchine aux rues de Cape Town pour finir dans le Upper West Side de Manhattan où s’affrontent les Jets et les Sharks, cette soirée Racine nous plonge dans le coeur battant de New-York, si longtemps creuset bouillant, de la culture et de la création. Magistral.

Pratique :

Racines de George Balanchine / Mthuthuzeli November / Christopher Wheeldon

avec les Étoiles, les premières danseuses, les premiers danseurs et le corps de Ballet de l’opéra et que l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale : Vello Pähn

du 06 octobre au 10 novembre 2025
durée 1h54 avec entracte

Pour Thème et Variations : Chorégraphie : George Balanchine ; Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) ; lumières : Perry Sylvey.

Pour Rhapsodies : entrée au répertoire, Chorégraphie : Mthuthuzeli November . Musique : Music George Gershwin (1898-1937) Décors : Magda Willi Costumes : Bregje van Balen Lumières : Martin Gebhardt . Piano solo en alternance Michel Dietlin ou Louis Lancien

Pour Corybantic Games: entrée au répertoire, Chorégraphie : Christopher Wheeldon. Musique Léonard Bernstein (1918-1990) Décors : Jean-Marc Puissant Costumes : Erdem Moralıoğlu . Lumières : Peter Mumford Violon solo en alternance Petteri Iivonen ou Frédéric Laroque

photos Maria-Héléna Buckley @operadeparis
La soirée Racines fait l’objet d’une captation produite par l’Opéra national de Paris, avec le soutien de la Fondation Orange. Ce spectacle sera diffusé ultérieurement sur POP, Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris.

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